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30 août 2018
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Reportage : dans les coulisses de la conception des modèles du défilé Etam

Publié le
30 août 2018

Entre vingt et vingt-cinq, c’est le nombre de morceaux de matière qu’il faut assembler en moyenne pour obtenir un soutien-gorge. Un travail quasi d’orfèvrerie que le groupe Etam expérimente et formalise dans son Tech Center, un site de R&D flambant neuf installé à Marcq-en-Barœul, dans le Nord, depuis 2017. La marque créée en 1916 épouse certes le rythme de la fast-fashion, mais n’en conserve pas moins un atelier de conception tricolore. FashionNetwork.com a pu pénétrer au cœur de l'été en exclusivité dans ses locaux et découvrir l’envers du décor, à quelques semaines du grand événement annuel de l’enseigne de lingerie, l’Etam Live Show, qui se tiendra cette saison le 25 septembre 2018 à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris. Le défilé, retransmis en direct, a réussi à se faire une place le jour d’ouverture de la Fashion Week parisienne, sans apparaître toutefois dans la calendrier officiel.


Le premier étage du Tech Center - FashionNetwork


L’an dernier, les salariés du bureau d’études d'Etam ont quitté le site historique de Mouvaux (une commune limitrophe de Marcq-en-Barœul, ndlr), fondé dans les années 1930 par Martin Milchior, le grand-père de l’actuel codirigeant du groupe, Laurent Milchior. Un bâtiment en briques devenu vétuste et inadapté, car l’unité de production qu’il abritait avait cessé toute activité en 2001. Désormais posé sur un îlot de verdure et son petit étang, au milieu d’une zone d’activités, le Tech Center d’Etam s’épanouit à 2 km de là, en un rectangle épuré de 1 700 mètres carrés aux parois entièrement vitrées.


Découpe du patron - FashionNetwork


61 salariés et une centaine de machines (piqueuse plate, surjeteuse, recouvreuse…) y cohabitent et mettent chaque jour à l’œuvre leur expertise en corseterie et en prototypage. Si ces machines sont présentes, ce n’est pas pour produire en masse, mais pour mettre au point techniquement les produits et transmettre ensuite ces instructions aux fabricants, basés en Asie ou au Maghreb notamment.

L’effervescence est palpable à quelques semaines du douzième show de la marque. Défilera sur le podium un mix de modèles de la collection classique, qui seront vendus en magasin, et de pièces uniques. « Nous poussons à fond ce que l’on fait finalement au quotidien ici, en magnifiant certains produits avec des perles, des plumes… et en les accessoirisant, atteste Stéphane Laporte, directeur du pôle technique Etam Lingerie, dont le travail sur le défilé a débuté dès le printemps dernier. Nous recevons après coup une telle demande de clients pour ces modèles customisés que nous réfléchissons même à lancer un service sur-mesure chez Etam ! »


Assemblage de pièces en matière plastique et découpe de la matière - FashionNetwork


Cette année, certains modèles du show seront confectionnés en cuir et même en PVC. C’est ce matériau, inhabituel pour des dessous, qui a donné du fil à retordre aux acheteurs textile, installés au rez-de-chaussée : il fallait dénicher une matière plastique irisée, qui soit assez souple, l’un des cinq thèmes du défilé ayant une dominante futuriste. Mais nous n’en saurons pas plus sur les autres inspirations, car le secret ici est plutôt bien gardé, à l’instar d’une maison de couture.

« L’élaboration des modèles n’est faisable que grâce à un échange permanent avec les stylistes d’Etam, qui sont basés au siège, à Clichy (près de Paris), et cela commence dès la recherche de matières, où aucune barrière n’est fixée, poursuit Stéphane Laporte. On organise beaucoup d’allers-retours et nous nous parlons aussi grâce à un écran sur roulettes permettant de faire des visioconférences depuis un salon d’essayage, même face à une machine à coudre. »


Marie-Claire, modéliste - FashionNetwork


Une pièce du défilé peut nécessiter jusqu’à 30 heures de travail pour une broderie, sachant qu’une centaine de silhouettes le compose. Car Etam doit montrer en un quart d’heure tout ce qu’elle sait faire : lingerie, bain, mais aussi homewear et sportswear. « En recevant un dessin d’une styliste, on se dit très souvent "mais comment va-t-on faire ?" », sourit Marie-Claire, modéliste depuis 15 ans chez Etam, et qui s’attelle à donner corps à une manche très volumineuse, assise face à son écran dans un espace baigné de lumière, presque immergé dans la végétation. Elle n’en est pas à son premier essai : il faut tester différentes solutions pour obtenir l’ampleur voulue, découdre, réassembler… avant de faire essayer le produit à un mannequin vivant.

« Je suis partie d’une toile pour former les plis de cette manche, décrit celle qui manie le mètre d’une main assurée, lunettes sur le nez. En travaillant sur les modèles du défilé, on se lâche et on s’éclate. C’est une chance. Je viens du milieu du prêt-à-porter et je peux vous dire que plus beaucoup d’entreprises de notre créneau ne conçoivent leurs produits en France ». Pour le défilé, qui aura à nouveau lieu à l’Ecole des Beaux-Arts, certaines des salariées seront du voyage à Paris, de même que cinq machines, afin de procéder aux toutes dernières retouches. En coulisses, recoudre quelques sequins jusqu’à la dernière seconde n’est pas rare. 

« On se remet en question tout le temps, livre humblement Maria, qui tente de coudre ensemble deux matières réagissant très différemment. Cela fait plus de 20 ans que je travaille pour Etam et j’apprends encore. »


L’espace dédié au modélisme est occupé par une vingtaine de personnes et s’apparente à une ruche bien occupée, les bureaux étant recouverts, outre l’ordinateur, de dossiers, de coupons de tissus et d’essais de patrons, tandis que des bustes s’érigent dans les allées. Sur l’un d’entre eux, une ébauche de jupe en plastique prend forme, fabriquée pour un premier essai avec des lanières de sac poubelle. Ces spécialistes de l’interprétation en 3D du croquis d’une silhouette font naître ici 1 000 à 1 200 références par an, nécessitant la réalisation de 5 à 6 000 prototypes pour Etam, mais également pour les autres griffes affiliées au groupe, Undiz et Livy.


La zone prototypage, où chacune possède son propre « bureau » - FashionNetwork


Côté prototypage (assemblage du produit), l’organisation fait davantage penser à un bureau qu’à un site technique : les machines à coudre sont réunies par pôle de six et chaque salarié a la sienne, comme dans un open space classique, et peut la décorer de photos, d'un porte-bonheur ou d’une petite radio d’où s’échappe le dernier tube du moment... « Il fallait créer le moins de pollution visuelle possible, c’est pour cela que les fils d’alimentation en électricité et en air comprimé arrivent par le sol et non en aérien comme dans des ateliers industriels classiques », décrit Stéphane Laporte.


Etam forme sur ce site forme entre trois et cinq personnes au modélisme et au prototypage chaque année - FashionNetwork


A son poste, une discrète jeune femme, France, retouche un maillot de bain argenté à volants. « Nous venons de lui annoncer, ainsi qu’à Justine et Mélissa, trois jeunes femmes (de 23 à 28 ans, ndlr) qui étaient en apprentissage, qu’elles continuaient chez nous en CDI », glisse avec fierté la responsable technique de l’équipe, Alexiane, du haut de ses 34 ans d’ancienneté chez Etam. Comme elle, de nombreuses salariées cumulent une solide expérience dans la société, jusqu’à 43 ans pour une opératrice partie à la retraite l’an passé. « Parfois, les retraités viennent donner un coup de main pendant certains moments de rush », livre Stéphane Laporte.

Tous ou presque décrivent une grande famille. Mais « les compétences en corseterie très rares, ce sont des métiers qui se perdent », regrette le directeur du pôle, qui, il y a cinq ans, a lancé un processus de formation en interne. « Deux opératrices d’expérience ont pour cela appris à former ». Et il y avait urgence puisque la moyenne d’âge des salariés de l’atelier – aujourd’hui de 50 ans - ne cessait d’augmenter. 


Stéphane Laporte présente la dentelle 102, réalisée en polyamide et élasthanne, qui sera notamment à l’honneur avec une combi-pantalon commercialisée à l'issue du défilé. - FashionNetwork


Dans le hall du Tech center, on croise par surprise le jour de notre visite Sébastien Bento Soarès, le nouveau directeur général adjoint de Noyon Dentelle. Un voisin du Nord qui collabore étroitement avec le groupe de lingerie, surtout depuis que celui-ci a pris des parts minoritaires au capital du dentellier en difficulté l’an dernier. Noyon a mis au point cette année pour le défilé de l’enseigne un motif exclusif baptisé « dentelle 102 ». Les deux sociétés coopèrent aussi sur d’autres sujets, d’une façon qui n’était pas aussi intense auparavant. « Si on ne passe pas par la mutualisation des savoirs, cela va être compliqué à l’avenir », estime Sébastien Bento Soarès.


La machine à smocks et l'entrée du Tech Center, entre tradition et modernité. - FashionNetwork


Pour se conformer à la frénésie de certaines enseignes retail, le rythme des collections s’est accéléré ces dernières années chez Etam, qui a généré autour de 1,3 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2017. « Les acteurs traditionnels de la lingerie travaillent avec six mois à un an d’avance sur la saison, ici nous concevons de nouveaux produits non-stop, avec une réactivité possible en quelques semaines », se félicite Stéphane Laporte, avant d’insister pour nous montrer deux machines historiques de l’entreprise, sagement gardées derrière deux portes closes : il s’agit d’une machine à smocks très rare (à 45 aiguilles) que seulement deux salariés d’Etam - qui sont jumeaux - savent régler et une machine permettant de réaliser des « spaghetti », soit des bretelles sans couture sur la peau. Finalement, osciller entre savoir-faire artisanal et production de masse, défilés fastueux et petits prix, c’est en soi l’équilibre que cherche à maintenir Etam.

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