Publié le
24 nov. 2020
Temps de lecture
6 minutes
Télécharger
Télécharger l'article
Imprimer
Taille du texte

Comment Gucci s’est transformée de griffe aspirationnelle à marque inspirante

Publié le
24 nov. 2020

La pandémie du Covid-19 a accéléré plus que jamais la transformation des maisons de luxe, comme l’a illustré le récent rapport publié par Bain & Company. En intensifiant leur communication pour maintenir les liens avec leur communauté et engager les clients malgré le confinement, les entreprises, auparavant centrées sur le produit, ont assumé un rôle d’amplificateur de contenus et de messages sur de multiples questions de société. A l’instar de Gucci, marque phare du groupe Kering, dont les dernières initiatives reflètent son engagement en faveur de la diversité, mais aussi d’un moindre impact environnemental.


Les acteurs Silvia Calderoni et Jeremy O. Harris avec le réalisateur Gus Van Sant - ph Paige Powell/Gucci


 "Avec l’absence de Fashion Weeks physiques et un temps dilaté par le confinement, on a vu les griffes de luxe inonder les réseaux sociaux de messages empathiques. Elles ont développé un pouvoir d’interaction très fort avec leur communauté, allant au-delà du simple produit, en parlant de valeurs. Ce glissement se retrouve dans les attentes du marché aujourd’hui. Les consommateurs mettent le prix dans un article de luxe non seulement pour le produit, mais pour l’ensemble de valeurs qui en découlent. Ils s’attendent à ce que les griffes soient excellentes en tout, et aussi un peu activistes, offrant un contenu toujours plus ample", expliquait Claudia D’Arpizio, partenaire de Bain & Company lors du récent Observatoire d’Altagamma, qui réunit les grands noms du luxe italien.
 
"De la demande de personnalisation toujours plus forte à l’importance prise par des thèmes comme la nature, la santé ou l’humanisme culturel, en passant par la montée en puissance du développement durable et de la diversité, de nombreuses grandes tendances se sont fait jour sur le marché que les marques de luxe se doivent d’intégrer. Elles doivent devenir un contributeur actif du futur, mettant en avant non seulement leur bagage en termes de patrimoine et de qualité, mais en jouant aussi un rôle d’inspirateur, de moteur culturel du futur pour définir un monde meilleur", soulignait l’analyste.

Des propos artistiques divers



Gucci l’a bien compris, comme l’illustre son dernier projet GucciFest, qui rompt radicalement avec le traditionnel modèle des défilés pour offrir un inédit format de présentation de sa prochaine collection parfaitement en phase avec ce "rôle de moteur culturel" invoqué par ce marché en devenir. Non pas une simple vidéo ou performance digitale, mais un programme plus complexe, sorte de festival de mode digital articulé sur une semaine avec, au-delà du film présentant la collection signé du réalisateur Gus Van Sant et du directeur artistique Alessandro Michele, différents autres contenus, tel le travail et les vidéos de jeunes designers émergents ou encore les profils et propos des intervenants et personnages du films.
 
Tous issus d’univers artistiques, ils semblent avoir été choisis tout aussi bien pour éclairer/inspirer les fans de la marque, que pour élargir son audience finale. De la chanteuse et poétesse londonienne Arlo Parks à la chorégraphe et danseuse allemande Sasha Waltz, que l’on voit à l’œuvre en pleine répétition, au philosophe espagnol Paul B. Preciado, qui y théorise l'abolition des différences entre les sexes, les genres et les sexualités, en passant par le critique d'art italien Achille Bonito Oliva, qui donne sa vision entre mode et art. "La mode habille l’humanité, l’art la met à nu, la musique lui sert de message", explique-t-il au chanteur Harry Styles dans l'un des sept épisodes du film.
 
Le film donne vie aux vêtements (qui sont clairement mis en avant à travers tous les personnages) dans cet univers loufoque et fantaisiste cher à Alessandro Michele, parsemé ici et là de références à la mode, au cinéma, à la musique, etc. Bref, au monde créatif du styliste. Il véhicule aussi une dimension fortement internationale à travers l’utilisation de différentes langues en affichant Gucci comme une marque mondiale, mais aussi locale, puisque l’action se déroule à Rome, tout en mettant en avant les valeurs de diversité et d’inclusivité prônées par le label. En témoigne le choix de l’actrice androgyne Silvia Calderoni dans le rôle principal, connue pour son engagement sur les questions transgenres.


La page du site Gucci dédiée à la mode non binaire - gucci.com


Sur le plan de la diversité, Gucci a multiplié les initiatives depuis qu’elle a été accusée de racisme pour avoir proposé un pull noir évoquant une "blackface", cette caricature de l’époque coloniale exagérant les traits des personnes noires. Début 2019, elle a lancé le programme "Gucci Changemakers" avec, à la clé, un financement de plus de 10 millions de dollars, afin de renforcer son engagement en termes de responsabilité sociale d’entreprise tout en encourageant la diversité et l’inclusion sur le long terme.
 

Un engagement pour la diversité



Les concepts de parité et d’inclusivité ont été déclinés au sein de l’ensemble du groupe et sont surtout devenus fondamentaux dans l’image véhiculée par Gucci sur les réseaux sociaux, à travers ses campagnes et via la présentation de ses collections, comme on a pu le voir avec GucciFest ou lors de la dernière campagne pour sa ligne de cosmétiques Gucci Beauty intitulée "unconventional beauty", faisant appel, entre autres, à la mannequin britannique Ellie Goldstein atteinte de trisomie 21, ou encore à Enam Asiama, modèle queer à la beauté atypique.

Autre exemple, la création l’été dernier de Gucci MX, une section au sein du site de la maison totalement dédiée à la mode non binaire, où la marque italienne célèbre une fois de plus la diversité en abolissant "le fossé entre les genres au nom de l’expression de soi" présentant comme "relatifs", les concepts de la masculinité et de la féminité. Elle y propose notamment une sélection de vêtements et accessoires susceptibles d’intéresser homme et femme au-delà des genres. Alessandro Michele a également mis en avant les employés de l’entreprise cet été, qu’il a transformés en mannequins d’un jour les faisant poser pour sa nouvelle campagne.

Ces choix s’alignent à l’esthétique très particulière et reconnaissable de la marque impulsée par le directeur créatif depuis 2015, qui a contribué, aux côtés du CEO Marco Bizzarri, à métamorphoser Gucci en profondeur. Parallèlement, la maison s’est activement engagée sur la question environnementale annonçant en septembre dernier avoir atteint sa neutralité carbone. Elle a aussi lancé depuis peu une collection écologique et travaillé sur un nouveau packaging moins impactant pour l'environnement. Tous ces éléments, son engagement, ses actions et son ouverture aux autres, sa communication holistique autour de ces valeurs et de la création, lui donnent aujourd’hui une nouvelle crédibilité auprès des consommateurs, qui s’est renforcée avec la pandémie.
 
Comme le soulignait le président d’Altagamma, Matteo Lunelli, lors de son observatoire la semaine dernière: "La pandémie a accéléré les changements en acte. Les thèmes de l’individu et du bien-être sont désormais prioritaires autant que l’attention portée à la qualité et aux valeurs authentiques avec une approche à la consommation plus modérée et durable. L’éthique devient tout aussi importante que l’esthétique".
 

Tous droits de reproduction et de représentation réservés.
© 2024 FashionNetwork.com