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Clémentine Martin
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7 janv. 2020
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Delpozo, en difficulté, doit dire adieu à son directeur général

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Clémentine Martin
Publié le
7 janv. 2020

Les temps sont durs chez Delpozo. Lors du départ de son créateur fétiche en septembre 2018, la question de la perte de l’identité de cette maison espagnole fondée en 1974 s’est immédiatement posée. L’architecte Josep Font est resté pendant six ans à la direction créative de la marque et a été l’artisan de sa relance. Il a aussi su perpétuer l’héritage de son regretté fondateur Jesús del Pozo. Passée dans le giron du groupe Perfumes y Diseño en 2011, cette griffe de prêt-à-couture se distinguait par son style unique et reconnaissable. Delpozo et Josep Font étaient intimement liés, et le départ de ce dernier a suscité de grandes inquiétudes pour l’avenir de la maison. Comment faire évoluer une maison au style si emblématique de son designer ?


La marque espagnole a fermé deux de ses trois flagships au cours des derniers mois - Delpozo


On dit parfois que savoir tirer sa révérence à temps est une petite victoire. Mais ce n’est pas toujours le cas en affaires, et reste encore à voir s’il n’est pas trop tard pour Delpozo. Avant même l’annonce de sa recherche d’investisseurs en juin dernier, la maison madrilène a commencé à mettre fin à une partie de ses activités internationales, selon les informations recueillies par FashionNetwork.com. La société a conservé quelques points de vente, mais deux de ses trois flagships ont déjà fermé. L’époque où la firme était présente dans 34 pays à travers 80 points de vente paraît aujourd’hui bien loin.

Adieu, flagships et partenariats internationaux

Le premier flagship à l’étranger de Delpozo a été inauguré à Londres en 2017. Aujourd’hui, l’enseigne a mis la clé sous la porte, et le numéro 134 de Sloane Street est maintenant occupé par un pop-up de la marque Saloni. La maison espagnole s’est aussi défaite de sa boutique du Dubai Mall, ouverte en mars 2018 grâce à une alliance avec Symphony Style.

Mais ce n’est pas le seul pas en arrière effectué par la firme à l’étranger. Comme a pu le vérifier FashionNetwork.com, Delpozo a mis fin à ses liens avec plusieurs partenaires internationaux. La marque a conclu un accord avec le showroom italien Massimo Bonin début 2018, portant sur la production et la distribution de ses chaussures et accessoires. Le représentant n’est apparemment déjà plus en charge des collections de Delpozo. La marque espagnole a aussi confié ses activités de vente en gros à un autre showroom italien, Riccardo Grassi, en octobre 2018. Mais les relations avec Delpozo se sont interrompues après la dernière collection automne/hiver 2019.

Pablo Badía part à son tour



Une mauvaise nouvelle n’arrivant jamais seule, le directeur général Pablo Badía a annoncé son départ à la fin de l’année 2019. « Cette expérience a été très enrichissante. Je suis reconnaissant d’avoir eu l’opportunité de travailler pour une marque aussi intellectuelle, transcendante, avec un univers aussi particulier. Je suis enchanté », a commenté Pablo Badía à FashionNetwork.com en exclusivité. Il a confirmé avoir quitté Delpozo fin décembre, après deux ans et demi à la direction générale de la maison. Avant cela, le dirigeant avait été responsable du groupe de mode infantile CWF en Espagne pendant près de quatre ans. Il a commencé sa carrière chez Sociedad Textil Lonia, avant de se voir confier des postes à responsabilité dans des entreprises du secteur, comme Caramelo ou Karen Millen.

Il est entré au sein de Delpozo en 2017 pour prendre la suite de Carlos Trolez. Le fils du président du groupe Pedro Trolez Martínez avait pris la direction générale intérimaire de la marque au début de la même année. Depuis le départ de l’incontournable Ainhoa García en janvier 2015, le siège qu’allait occuper Pablo Badía était resté inoccupé. Pendant les huit ans à son poste, Ainhoa García a travaillé d’arrache-pied à restructurer la maison. Aujourd’hui, l’entreprise se retrouve à nouveau sans direction générale. Son futur propriétaire installera sans doute une nouvelle structure à sa tête en fonction de ses projets futurs. De son côté, Pablo Badía n’a pas donné plus de précisions concernant ses projets pour l’avenir.

Côté créatif, la maison nage aussi dans une mer de doutes. Au départ de Josep Font, Perfumes y Diseño avait rapidement annoncé que le créateur allemand Lutz Huelle prendrait sa suite. Mais cette stratégie n’a pas vraiment porté ses fruits. La première collection du nouveau designer était impatiemment attendue mais n’a encore pas été réalisée : officiellement, Lutz Huelle n’a fait que superviser la réalisation des pièces de l’automne/hiver 2019, une collection de transition créée par les équipes de la maison en interne.

Contacté à plusieurs reprises par FashionNetwork.com, le créateur allemand n’a pas souhaité commenter et reste jusqu’à preuve du contraire le directeur créatif de la maison. Selon d’autres sources, Lutz Huelle pourrait signer la collection Resort 2020 de Delpozo et participer à un projet de collaborations qui devrait être annoncé prochainement. Son maintien à la direction créative dépendrait cependant des projets de la future direction.

Les coups d’épée dans l’eau et les tentatives de sauvetage se multiplient. Entre 2013 et 2016, Perfumes y Diseño a investi 5,5 millions d’euros dans la relance de la marque. À la clôture de l’exercice 2018, les ventes de Delpozo atteignaient 3,5 millions d’euros pour des pertes de 3,8 millions d’euros. Des chiffres bien éloignés des 10 millions de chiffre d’affaires sur lesquels la marque avait un jour parié pour 2019 ou des 6,4 millions d’euros enregistrés en 2015.


Extérieur de l’ancienne boutique de Delpozo au Dubai Mall - Delpozo


Ces résultats plus que médiocres sont la conséquence de la récession de l’entreprise à l’étranger, mais aussi d’une politique de remises destinée à faire le vide dans les stocks. Delpozo a mis en vente certaines pièces de ses collections précédentes avec des remises allant jusqu’à - 95 % dans sa boutique de Madrid. Situé au numéro 19 de la rue Lagasca, cet espace représente maintenant la dernière boutique physique de la marque. Plusieurs sources ont toutefois souligné que ces ventes ont « très bien » fonctionné, mais la maison va devoir répondre à l’interrogation suivante : où se situe la valeur de son nom si elle torpille son héritage à prix discount ?

Un défi à relever par les nouveaux propriétaires. Perfumes y Diseño a annoncé avoir cédé une participation majoritaire à « un partenaire industriel qui souhaite conserver la vision stratégique de l’entreprise de mode » en septembre dernier, mais le nom du futur propriétaire de Delpozo ne sera rendu public que début 2020. Trois options différentes ont déjà été évoquées depuis mai dernier, mais les discussions sont toujours en cours, d’après les informations de FashionNetwork.com.

Que s’est-il passé ?



« Les clientes de Delpozo étaient des personnes qui possédaient déjà plusieurs pièces Valentino ou Dior », dévoile à FashionNetwork.com une source proche de la maison. En raison de son caractère artistique et de son positionnement Haute Couture, la maison affichait des prix très élevés commençant aux alentours de 1 000 euros. Mais son nom n’était pas encore assez connu pour justifier de tels chiffres. Les coûts de production élevés, la rentabilité en berne, les partenariats locaux n’ayant pas donné les résultats espérés ou l’ombre de Josep Font planant encore sur la marque ont donné du fil à retordre à un groupe spécialisé dans la création et la distribution de parfums de luxe.

Alors certes, l’avenir de Delpozo sera entre les mains d’un groupe étranger et forcément différent de ce à quoi l’on aurait pu s’attendre il y a quelques années. Mais cela représente aussi une deuxième opportunité. Également spécialisé dans la parfumerie mais possédant plusieurs marques de mode, le groupe Puig restera donc le seul grand conglomérat de luxe espagnol. Delpozo ne serait pas la première marque à renaître de ses cendres : Loewe et Balenciaga ont réussi à retrouver leurs lettres de noblesse une fois passées dans l’escarcelle de grands groupes français. Et des maisons de luxe historiques comme Patou et Sonia Rykiel ont été récemment sauvées par leurs nouveaux investisseurs. Personne ne peut prédire l’avenir de Delpozo, mais une chose est sûre : la maison madrilène mérite un sauvetage à la hauteur de son nom.

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