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20 févr. 2023
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Desolina Suter (Première Vision): "On voit se multiplier des initiatives en agriculture régénérative"

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AFP-Relaxnews
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20 févr. 2023

Pour répondre aux défis environnementaux mais aussi aux attentes des consommateurs, le secteur textile a entamé sa transition environnementale. Progressivement, les innovations imaginées en laboratoires deviennent opérationnelles via des solutions concrètes en termes de sourcing et de production écoresponsables. Desolina Suter, directrice mode du salon Première Vision, qui s'est tenu au parc des expositions de Villepinte au nord de Paris, détaille les matières qui s'imposeront prochainement dans les placards. Interview.



Première Vision permet aux acteurs de la mode de piocher des inspirations pour concevoir leurs prochaines collections. Quelles sont les grandes tendances pour la saison printemps-été 2024 ?

Desolina Suter: C'est une saison qui cultive une synergie entre approches pragmatiques et idéaux utopiques, et qui place l’écologie au cœur de la création. Un désir de rationalité gagne du terrain, pour des produits qui ont autant de sens économique que de sens écologique. Un idéalisme durable, ancrant encore plus profondément les préoccupations écologiques au cœur de nos processus créatifs. On peut parler d'une nouvelle dynamique créative orientée vers un avenir guidé par le bon sens et l'adaptabilité, reliant les nouveaux problèmes aux solutions traditionnelles, avec la qualité et l'authenticité comme nouveaux piliers de la durabilité et de la circularité. A l'opposé de ces attentes, on assiste à une créativité instinctive qui puise dans la force des matières et la puissance des couleurs, synonymes de rareté et de qualité. Une recherche de sens qui s'éloigne de l'éphémère. Il n'y a pas une seule vision, une seule solution : notre résilience nous pousse à accepter l'inconnu et à être plus nuancé.

Cette édition était également l'occasion de découvrir les matières qui composeront les collections de demain. Lesquelles sont les plus innovantes sur le plan environnemental ?

DS: Les initiatives circulaires sont les plus engagées. Elles permettent de recycler les vêtements en fin de vie et de créer de nouvelles fibres, puis de nouveaux tissus pour réduire l’impact des déchets textiles et moins puiser dans les ressources fossiles ou renouvelables. Mais la part de vêtements recyclés dans l’industrie textile est encore trop minoritaire. C'est pourquoi on observe la multiplication de nouvelles matières plus écologiques et issues de la recherche et de l’innovation. On parle, par exemple, depuis trois ans de mycélium, de cactus, de pomme, de raisin et autres déchets issus de l’agroalimentaire, utilisés pour le textile.

Ces nouvelles matières peuvent-elles faire l'objet d'une production à grande échelle ?

DS: Ces développements représentent aujourd'hui un marché de niche. Certains processus de revalorisation des déchets issus de l’industrie agroalimentaire ont toutefois un vrai potentiel pour devenir des matières premières de premier plan pour fabriquer de nouvelles fibres textiles.

Les acteurs de la mode sont de plus en plus nombreux à se tourner vers les déchets, quels qu'ils soient, pour concevoir des vêtements. Peuvent-ils vraiment se muer en une nouvelle matière première incontournable pour rendre la mode plus vertueuse ?

DS: Oui, grâce à des transformations chimiques ou mécaniques de ces déchets. Principalement chimiques d’ailleurs via des polymérisations qui donnent naissance à des synthétiques qui ne seraient plus issus des ressources fossiles, mais aussi via des solutions chimiques à base de solvants non toxiques.

Les recherches s'accélèrent sur ces matières alternatives… Mais des fibres naturelles et vieilles comme le monde, telles que le lin et le chanvre, ne peuvent-elles pas constituer une solution durable pour l'industrie ?

DS: La diversification des matières premières naturelles est une piste vertueuse. Le coton est la fibre naturelle la plus utilisée dans le monde, mais sa culture a un impact négatif sur les sols et consomme beaucoup d’eau. On voit se multiplier des initiatives en agriculture régénérative, dépassant les standards de la culture biologique. Bien que cela soit porteur pour l’avenir, l’utilisation d’autres fibres végétales, nécessitant moins d’eau et peu ou pas d’intrants, fait partie des solutions vertueuses. L’ensemble des fibres libériennes - lin, chanvre, ortie, ramie - sont vraiment intéressantes sur ce plan. Le kapok, encore trop peu utilisé, est aussi à considérer. Cette fibre, qui ressemble beaucoup au coton, est issue des fleurs d’un arbre dont la culture nécessite très peu d’eau.

"L'industrie du cuir est par nature basée sur la revalorisation des déchets"



Incontournables, le cuir et le denim font l'objet de nombreuses critiques. Y a-t-il des innovations majeures pour ces deux tissus ?

DS: Pour le denim, il faut se concentrer sur deux points : les compositions et les délavages. La diversification des matières végétales, avec des mélanges coton/lin ou coton/chanvre, est une piste de réponse. La mode, qui favorise en ce moment des qualités sans stretch, permet aussi d’envisager plus facilement le recyclage des denims. On voit se multiplier les propositions de mailles ou de tissages bleus dont la couleur est issue du recyclage de tissus indigo. Cela permet d’obtenir de la couleur sans ajouter de pigment. Les délavages laser, sans eau et sans produit chimique, se sont par ailleurs largement démocratisés ces dernières années, et c’est une vraie avancée.

Pour le cuir, il faut avoir en tête que 98% des cuirs sont issus de l’industrie alimentaire, et que c’est par nature une industrie basée sur la revalorisation des déchets. En Europe, et dans d’autres zones, via les certifications Reach, LWG, et ZDHC, il est tout à fait possible de choisir des cuirs qui répondent à des normes strictes concernant l’usage des produits toxiques. Les techniques de tannage évoluent aussi beaucoup, tout comme les outils de traçabilité des peaux qui permettent d’identifier si la filière s’inscrit dans le respect du bien-être animal.

L'intelligence artificielle permet à l'industrie de la mode de mettre un pied dans le métavers, et d'améliorer l'expérience en ligne, mais peut-elle aussi se mettre au service de la durabilité ?

DS: Il faudrait que l’intelligence artificielle puisse agréger les données des calculs d’impacts sur l’ensemble de la chaine, de la production de la matière première à la fin de vie, et ce sur tous les postes - consommation d’énergie, d’eau, rejets chimiques - pour établir des bilans objectifs sur le score de durabilité des produits. Une des problématiques étant que la notion de qualité versus durabilité n’est pas encore assez bien prise en compte dans les modèles de calculs. Les résultats seraient biaisés.

Qui dit technologie, dit aussi impression en 3D. Il y a eu quelques applications dans la mode, mais sans commercialisation à grande échelle. Est-ce une solution viable dans un futur proche ?

DS: Là, vous parlez d’une révolution très profonde. Ce serait un peu comparable à la transition qui s’est opérée à la fin de la préhistoire, au pré Moyen-Âge, quand le tissu a majoritairement remplacé les peaux de bêtes pour s’habiller. Est-ce que cela peut être dans un futur proche ? Difficile de le prédire, dans la mesure où toutes les transformations sont aujourd'hui accélérées par la technologie.

On parle aussi beaucoup de vêtements intelligents, capables de communiquer ou de surveiller sa santé. Est-ce que ce sont des gadgets ou les véritables textiles du futur?

DS: Cela existe déjà, mais c’est encore de l’ordre du prototype, et pour des usages assez précis. Par exemple, des vêtements qui captent l’énergie solaire via le textile pour alimenter des systèmes GPS, pour des expéditions en haute montagne. Ce n’est pas du gadget mais un marché de micro niche. Cela pourrait s’étendre à la grande consommation afin de recharger les smartphones, par exemple. La technologie va forcément faire apparaitre de nouveaux outils, de nouveaux besoins, et de nouveaux modes de vie que nous n’imaginons pas encore.

(ETX STUDIOS)

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