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15 nov. 2013
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Détaillants indépendants : un avenir toujours sombre?

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15 nov. 2013

La désertification commerciale des centres-villes tient du phénomène inéluctable : si politiques et institutionnels le déplore depuis de nombreuses années, Pascal Madry, directeur de Procos le formalise aujourd'hui clairement. Le représentant de l’organisation qui fédère la plupart des acteurs du commerce spécialisé s’appuie sur des chiffres. Une étude met en exergue un recul du nombre de commerces. Une spirale qui a forcément un impact sur l'activité des détaillants textile indépendants.

L'habillement résiste au troisième trimestre

Le nombre de commerces a chuté en moyenne de 4% par rapport à il y a 12 ans. Forcément ce recul est à mettre en lien avec la situation économique depuis 2008. Depuis la crise des subprimes, le nombre de défaillances d’entreprises conserve clairement un rythme élevé.

Selon les chiffres livrés par le cabinet spécialisé Altarès, sur le troisième trimestre 2013, le nombre de liquidations et redressements judiciaires a augmenté de 7,5% par rapport à 2012 en France. Dans ce contexte, le commerce de détail a enregistré une hausse de 6,1% des défaillances.

Une rue commerçante de la ville de Brest (GUIZIOU FRANCK / HEMIS.FR / AFP)


La plupart des entreprises concernés restent à 90% des TPE. Aussi, le commerce de proximité est-il forcément touché.

Un profil qui correspond le plus souvent à celui des 30.000 entreprises, pour 40.000 boutiques, dirigées par les détaillants indépendants de l’habillement. 20.000 d’entre elles sont même des micro-entreprises, pour la plupart sans salarié.

« Mais il n’y a pas de dégradation extrêmement forte de la situation de l’habillement par rapport aux secteurs du meuble (+28%) et de l’alimentaire (+9%). L'augmentation des défaillances est d’ailleurs moins rapide que sur le reste de l’économie avec une hausse de 5,8% chez les détaillants textile, explique Thierry Million, responsable des études Altarès. On se fixe même à +4% si l’on ajoute la chaussure-maroquinerie. En revanche, en amont, les grossistes souffrent plus. Les négoces de gros sont des sociétés plus anciennes mais restent petites. Ce qui reste de tissu industriel résiste lui plutôt bien ».

Des chiffres plus encourageants que ceux du deuxième trimestre, où le secteur accusait une hausse de 15% des défaillances. « Certains de ces chiffres arrivent parfois en décalé et ne sont pas forcément en lien direct avec une situation économique sur un temps court, met en garde Bernard Morvan, président de la Fédération Nationale de l’Habillement. Ce qui est certain, c’est que, de par la spécificité de nos métiers, beaucoup d’entreprises unipersonnelles arrêtent chaque année. Mais de nombreuses ouvrent aussi. Nous avons en moyenne 30% de rotation sur les points de vente ».

Au cours des années 2000, le nombre de détaillants indépendants a explosé. Nombre de fournisseurs déplorent d'ailleurs aujourd'hui le manque de fiabilité d'une partie des nouveaux acteurs. Ceux-ci représente une part du tissu de détaillants. Mais le cœur du métier reste constitué d'un cercle d'entreprises historiques très bien installées et d'autres qui se développent et s'appuient sur plusieurs salariés. Pourtant, comme le révèle Altarès sur le petit millier d'entreprises défaillantes cette année, on trouve aussi des acteurs établis.

Une situation liée au non remplacement de détaillants historiques qui ne passent pas le relais ou ne trouvent pas de repreneur dans l’habillement. « Les faibles marges du secteur et la consommation qui n’est pas toujours au rendez-vous, ainsi que la concurrence des acteurs d’internet, pèsent dans la balance alors que les loyers en centre-ville restent très élevés », explique Thierry Millon.

Les petites villes très touchées

Alors que l’on attend les propositions du gouvernement au premier trimestre 2014 sur la réforme des baux commerciaux, le constat remet forcément en cause le modèle des acteurs indépendants en centres-villes. Car même si l'habillement tente de résister, les emplacements n°1 trustés par les chaînes, la multiplication des périodes de soldes et la dégradation du tissu commercial avec la multiplication des vitrines vides, pèseront au final sur l'activité des commerçants restants. « Il faut qu’il y ait un plan Marshall pour les centres-villes peste Bernard Morvan. Il existe un effet de seuil terrible pour les villes en dessous de 20.000 habitants où le commerce disparaît. Et avec internet et les ouvertures en périphérie, le mouvement va s’accélérer si rien n’est fait. J’ai dit à mes amis députés que le commerce de centre-ville ne peut-être un supplétif de fin de journée pour les consommateurs qui ont oublié de faire des achats en périphérie. On apprécie le lien social qui est créé dans les centres-villes, mais ce n’est pas la fonction première des commerçants. Il faut aussi se rendre compte que les élus qui déplorent la perte d’attractivité des centres-villes sont aussi ceux qui valident les implantations en périphérie ».

Perspective du futur éco-parc commercial à Pacé prévu pour fin 2017 en périphérie de Rennes Antonio Virga/Vincent Parreira - Compagnie de Phalsbourg/Groupe Blot


Dans ce cadre, pris en porte-à-faux entre promotions sur internet et parcs de périphérie, les détaillants indépendants, confrontés à des revenus en baisse et une pression des loyers toujours présente, semblent avoir une épée de Damoclès au-dessus d'eux. Pour autant, aucun interlocuteur ne voit la fin de leur activité. « Les franchisés et affiliés représentent aujourd’hui 25% des 40.000 boutiques indépendantes, avec un nombre d’affiliés en constante progression. Ces acteurs bénéficient de la force du réseau et le risque est partagé avec la marque, précise Bernard Morvan. Le détaillant est donc relativement protégé. Mais étant moi-même détaillant avec deux magasins, je reste convaincu que le multimarques est l’indépendant qui peut le mieux résister. Bien sûr, il est exposé car il doit assumer seul l’échec d’une collection. Mais il doit se remettre en question, équilibrer le risque et trouver le bon dosage. Il a la capacité de proposer une offre différente et de dénicher des marques et des produits ». Le patron de la FNH se veut offensif sur la question, incitant même à chercher l’inspiration à l’étranger pour trouver de nouvelles offres, et parfois contourner les critères de sélection des fournisseurs hexagonaux.

Des opportunités sur le net
Reste l’écueil internet. Les deux atouts maîtres de ce canal sont l’accessibilité et les prix le plus souvent rognés. Difficile pour les indépendants de rivaliser avec les pure players qui jouent sur les volumes et des modèles économiques totalement différents. « Ce sont des investissements logistiques réellement conséquents et donc très compliqués à mettre en place pour des multimarques indépendants, estime Yannick Franc, consultant spécialiste de l’e-commerce dans le cabinet de conseil Javelin. Par contre, ces acteurs peuvent s’organiser en groupement pour se constituer une vitrine sur des places de marché ou vendre via différents prestataires ».

L’option site en propre, coûteuse et chronophage, n’est donc pas forcément la meilleure. « Internet devient complémentaire de nos magasins physiques. Par exemple, avec mes boutiques j’ai fait le choix de proposer mes invendus sur des sites amis. C’est forcément plus intéressant que de les conserver dans un local ou, pire, de ne pas renouveler l’offre en magasin, ce que le client ne supporte plus, appuie Bernard Morvan. Nous n’en sommes pas encore à proposer les collections en cours. En revanche il faut se doter d’outils pour parvenir à générer du trafic physique via les réseaux sociaux. Cela veut dire s’équiper et se former ».
« Il existe des opportunités et les multimarques resteront un acteur du secteur, confirme Yannick Franc. En revanche, leur part de marché (de 16% aujourd’hui) ne sera certainement plus au même niveau ».

Pour préserver celle-ci le plus longtemps, même ballotés par le gros temps économique, les indépendants apparaissent contraints d’innover et de s’adapter. D’autant qu’à l’instar de ce que connaissent l’Espagne et l'Italie après des mois de tempête, l’éclaircie peut survenir.

« Des perspectives globales plus favorables engendrent un retour de la confiance et les Français seront plus enclins à consommer, explique Thierry Millon. Dans ce raisonnement favorable, le retournement peut être très rapide pour l'habillement et peut agir sur une saison ».
Nombreux devraient miser sur ce souffle d’optimisme.

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