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Marguerite Capelle
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28 sept. 2022
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Dior: la mode de Catherine de Médicis

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Marguerite Capelle
Publié le
28 sept. 2022

Moment baroque chez Dior ce mardi, Maria Grazia Chiuri s’inspirant de la seule femme qui gouverna la France, Catherine de Médicis, d’origine italienne, quelques jours après que sa patrie a élu pour la première fois une femme Première ministre.


 


Ce tour de force en matière de mode rappelait les "progressions" de Catherine de Médicis dans toute la France, qui permettait à la Reine de renforcer le pouvoir de la monarchie, avec des spectacles, des bals pleins d’opulence et de majestueux défilés à travers le pays.

La collection décline une palette restreinte de blanc, or, et surtout noir. Si elle donna naissance à pas moins de dix enfants, dont trois fils qui allaient devenir rois de France, Catherine resta veuve pendant 30 ans, et elle était alors toujours vêtue de noire. D’où son surnom de Reine Noire.

"Mon idée, c’était de trouver un terrain d’entente entre l’Italie et la France, comme mon travail chez Dior me le permet souvent", explique la romaine Maria Grazia Chiuri, seule femme à avoir été directrice artistique de cette grande maison française.

"Une exposition sur Catherine a éveillé mon imaginaire, et m’a poussée à examiner son influence sur la France et sa culture. Pour moi, elle a été la première à comprendre l’importance de la mode pour incarner son rôle", déclare la créatrice, faisant allusion à une exposition montrée en 2008 à Florence et qui comparait Catherine et Marie, les deux reines Médicis françaises.

Une collection présentée en collaboration avec plusieurs artistes



Ces idées ont alimenté une collection de prêt-à-porter présentée en collaboration avec plusieurs artistes, chacun explorant la renaissance artistique initiée par Catherine en France.

Maria Grazia Chiuri a ainsi travaillé avec l’artiste Eva Jospin, qui a construit une grotte et un portique spectaculaire en carton recyclé. L’imposant casting défilait autour de cette œuvre, sur fond de Björk interprétant une de ses chansons avec une émotion pleine de puissance.

Les danses interprétées par la troupe d’Imre et Marne van Opstal ont ravivé le souvenir des bals que Catherine aimait organiser, pour mieux démontrer son pouvoir et son statut en matière de style.

Mais Catherine est systématiquement réinventée dans des matériaux plus légers, une robe chasuble en guipure à demi transparente est donc surmontée d’un simple tee-shirt en coton beige. Fan de cartes anciennes, Maria Grazia Chiuri en a trouvé une qui remonte aux années 1950, un panorama de Paris dont le siège de Dior, avenue Montaigne, occupe le centre.

Elle a intégré cette carte dans de superbes trenchs et de splendides robes à découpe, de grosses salopettes et un super nouveau corset poids plume, parmi la série qui agrémente cette collection. Et même des bloomers, en quantité également pour ce défilé un peu long, qui aurait sans doute mériter un travail d’"editing" plus strict.

Après son arrivée à la cour française en 1533, Catherine de Médicis a régné sur la France comme régente, tant que ses fils étaient trop jeunes, et elle a initié la création des jardins des Tuileries, où le défilé avait lieu aujourd’hui. Très peu des bâtiments commandités par Catherine ont survécu, mais il en reste un: une tour en forme de colonne cannelée, conçue pour admirer les étoiles et située derrière ce qui est aujourd’hui la fondation Pinault.

Broderies et audace



Orpheline dans le mois qui suivit sa naissance, Catherine passa de nombreuses années formatrices dans les couvents, où elle apprit l’art de la broderie, qu’elle importa plus tard en France. Des éléments de cet art délicat, et des ornements rebrodés conféraient à de nombreux looks une finesse pleine de raffinement.

Mais la Catherine de Maria Grazia Chiuri n’est pas une souveraine lointaine, et si elle en impose, elle peut aussi être un peu paillarde. Ses crinolines sont en dentelle semi-transparente, sur un simple soutien-gorge ; ses jupes de paysannes et ses grands corsages sont volantés, dans un style post-hippie. Des gaines en laine froissée dégageaient une audace diffuse, tandis que les dessous et soutien-gorge en soie style boudoir évoquaient davantage la veuve joyeuse que la dame endeuillée.

La Médicis Dior défile en bottines punk à multiple sangles parachevées par des cordes d’alpinistes, ou en compensées cloutées. Plutôt petite, Catherine elle-même préférait les chaussures à talonnettes. Et on sait que les deux versions de Maria Grazia Chiuri vont faire sonner le tiroir caisse chez Dior, dont la créatrice affiche un talent sans égal dans la mode actuelle pour mêler classe et style commercial, mode et produit.

Chose inhabituelle pour un défilé prêt-à-porter, quasiment aucun costume ni veste en vue. Mais en fin de compte, une collection cohérente de la part d’une créatrice qui reste parfaitement maîtresse de sa destinée. Voilà une romaine lancée à la conquête de la couture et de la mode française. Catherine la Florentine aurait sûrement apprécié.

Elle a travaillé un temps avec un fournisseur de jacquard remarquable, la manufacture Tassinari & Chatel, propriété du groupe indépendant Lelièvre. Ce qui est assez ironique, quand on pense que les plus célèbres portraits de Coco Chanel la montrent vêtue en style baroque à la Médicis, avec une tunique noire et une chemise blanche à volants.

Moment de réflexion après les élections en Italie



Et le défilé était de fait une réflexion sur le pouvoir dans le monde de la mode et de l’habillement, présenté à peine 48 heures après que les Italiens ont porté au pouvoir leur premier gouvernement d’extrême droite depuis la seconde guerre mondiale, avec une femme à sa tête, Giorgia Meloni.

Quand FashionNetwork.com l’interroge sur cette dernière, voici la réponse de Maria Grazia Chiuri: "Évidemment, son élection nous fait réfléchir. Mais plus qu’une victoire de sa part, je pense que la gauche a perdu. Je suis stupéfaite de voir que seule l’extrême droite a des femmes à sa tête, quand la gauche en place si peu au même niveau. Et personnellement, je crois en un certain nombre de valeurs relatives au droit à l’avortement, à ceux des homosexuels et au divorce, et je suis très déçue qu’il n’y ait pas de femmes avec la notoriété nécessaire dans l’autre camp pour mener ces combats. Très, très déçue".

Que pense-t-elle du style modeste de Giorgia Meloni – jeans et simple pull en laine – et de ce qu’il dit du pouvoir ?

"Je ne pense pas qu’elle ait une stratégie en matière de look… mais je dirais aussi que la génération précédente de femmes qui se sont lancées en politique a dû faire un choix quasi totalitaire: se conformer entièrement à un code d’apparence fondamentalement masculin. Et j’inclus la Reine Elizabeth là-dedans. Il y avait un prix à payer pour qu’elle incarne le rôle, de façon visuelle", philosophait-elle en conclusion de l’avant-première du défilé.

 

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