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18 déc. 2015
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Frédéric Biousse : "Notre idée est de nous positionner comme des accélérateurs de croissance"

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18 déc. 2015

Désormais propriétaire du Domaine de Fontenille, dans le Luberon, l’ancien codirigeant de SMCP revient sur sa dernière acquisition, sur l’aventure du groupe de mode dont il cédait une grande partie de ses parts en 2013 et sur son actualité. Notamment sa participation à la création d'un fonds d'investissement.


FashionMag : Quel regard portez-vous sur le succès du groupe SMCP que vous avez co-créé en 2007 et dont vous êtes toujours actionnaire ?

Frédéric Biousse : L’aventure avec SMCP a été incroyable. C’est avant tout le fruit de ma rencontre déterminante ave Elie Kouby chez Comptoir des Cotonniers. Ensemble, en 2007, nous avons repris Sandro qui comptait alors seulement deux boutiques et 2 millions de chiffre d’affaires en retail. Huit ans plus tard, après avoir également intégré Maje et Claudie Pierlot, nous atteignons les 700 millions. J’ai investi tout ce que j’avais sur ces projets, la totalité de mon patrimoine personnel, et je me suis endetté. J’ai pris un risque et cela a marché. A l’époque, tout s’est fait de façon naturelle et inconsciente, entre l’augmentation de capital et l’endettement bancaire, nous avions levé 11 millions d’euros après l’achat des marques puis, alors que le système bancaire s’effondrait en 2008, nous avons décidé de tout investir. En deux mois, nous ouvrions 35 magasins retail en France. Un succès commercial qui permit ensuite de financer le développement des boutiques à l’étranger.

FM : Un vrai travail d’équipe…

FB : Oui, nous avons cru en Evelyne Chetrite, la fondatrice de Sandro. Elle nous a fait confiance. Ensemble, nous avons formé une équipe à trois très complémentaire et super efficace, et nous avons ensuite été rejoints par Judith Milgrom, la fondatrice de Maje. Le succès de SMCP, c’est ce travail à quatre et les équipes très talentueuses que nous avons recrutées.

FM : Quelles ont été les motivations de la vente au groupe KKR et de votre départ de l’équipe dirigeante ?

FB : Je passais mon temps à voyager entre Shanghai, Londres et New York, je courais avec une pression du chiffre énorme et un poids financier important puisque mon patrimoine était en jeu. Gérer un groupe de plusieurs centaines de millions d’euros, même à quatre, c’est très différent de l’entrepreneuriat au quotidien. C’est grisant, mais en même temps, vous êtes plus en réunion que sur le terrain opérationnel, et c’est une question de choix personnel et de caractère. Lors de la vente à KKR (en juin 2013), je les ai prévenus que je m’engageais corps et âme jusqu’à la prochaine opération sur le capital, mais que je souhaitais ensuite m’arrêter et qu’il était donc nécessaire d’organiser ma succession. J’étais fatigué et je ressentais ce besoin de passer à autre chose, de reprendre le contrôle de ma vie, de retrouver le plaisir.

FM : Comment se porte le groupe SMCP aujourd’hui ?

FB : Le groupe se porte très bien, les chiffres sont extraordinaires, la nouvelle équipe travaille avec passion et de belles choses se profilent sur 2016. Comme quoi, personne n’est irremplaçable !

FM : Vous investissez aujourd’hui à titre privé dans l’hôtellerie et l’alimentation, pourquoi ces choix ?

FB : Tout cela est très connexe à ce que je connaissais. La mode, l’art, la gastronomie, le vin et l’hôtellerie sont les mêmes métiers, et traitent des questions de service, d’émotion, de retail et de produit. J’ai ainsi investi dans Maison Plisson (le concept d’épicerie et d’alimentation du boulevard Beaumarchais créé par Delphine Plisson, l’ex-directrice générale de Claudie Pierlot, ndlr), je suis également actionnaire du groupe de restaurants Big Mamma (trois trattorias à Paris, ndlr) et j’ai monté avec Guillaume Foucher, mon partenaire, trois galeries d’art contemporain à Paris et à Bruxelles, dès 2009. Ensemble, nous avons également acquis un vignoble et une ancienne bastide du XIXème dans le Luberon, région où j’ai passé une partie de mon enfance, que nous avons transformée en hôtel et dont nous avons relancé la production de vin. Je suis convaincu que la crise économique et que le climat général - les mauvais résultats politiques comme les récents événements, les incertitudes et l’insécurité générale - entraînent un revirement de la consommation sur l’immédiat de qualité. L’année 2014 fut une année noire pour le retail et tous les nouveaux restaurants proposant une nouvelle cuisine et mettant en valeur le produit ont alors commencé à bien fonctionner.

FM : Le consommateur a donc changé ?

FB : Avant, les gens étaient très monomarques, il y avait les aficionados de Sandro et celles de Maje, on raisonnait de façon verticale par marque et par marché. Il y a eu un changement récent. Tout d’un coup, la cliente Net-A-Porter va chez Maje, Sandro, mais aussi chez Prada et va s’acheter des casques dernier cri pour son iPhone, dépense beaucoup d’argent pour son enfant, voyage sur des concepts plus personnalisés, prend soin d’elle, investit sur des cosmétiques nouvelle génération autour de la naturalité du produit, ne va plus trop chez Ikea, mais fait attention à ce qu’elle mange, va dans des endroits différents pour faire ses courses, dans des restaurants où l’on cultive l’amour des produits. Le luxe est devenu abordable d’abord, transversal ensuite, et nous ne sommes plus dans des logiques de marques de segments, mais de façons d’être. Je suis ce que je consomme ; mes amis, ma tribu, sont ce qui me définit. C’est cela qui m’intéresse.

FM : L’explosion des marques comme Sandro ou Maje serait-elle encore possible aujourd’hui ?

FB : Dans le métier, pour réussir, c’est une question de produits, de managers, de vision et de moyens financiers. Mais c’est aussi une énorme question de chance : il faut être là au bon moment. C’est cela qui a fait le succès de Sandro et de Maje : le bon produit, pile dans la tendance, au bon prix, un peu cher mais pas trop, et cette façon inégalée de parler à nos clientes, de les respecter et de les aimer. C’est aussi notre équilibre (et nos déséquilibres) à nous quatre, dirigeants du groupe, qui ont permis un savoir-faire rare et une vraie audace. Sandro et Maje sont maintenant très installées, elles sont fortes partout dans le monde, les performances sont exceptionnelles. Et ces marques dureront. Elles sont solides. Elles sont d’autant plus solides que ce business model qui a fait leur succès devient de plus en plus difficile à répliquer : aujourd’hui, il n’y a plus l’appétence des consommateurs pour un réseau de 200 boutiques en France. On est au point mort du modèle. Avant, il y avait cette frénésie des marques contemporaines avec des marques comme Comptoir des Cotonniers, Sandro ou Maje, qui ont été là au bon moment. Mais je ne crois pas qu’un nouveau groupe puisse aujourd’hui ouvrir 200 magasins, à moins d’avoir un portefeuille de trois marques au moins peut-être. La nouveauté, c’est que nombreuses sont celles qui démarrent également sur Internet, ce qui n’était pas le cas avant.

FM : Vous préparez également la création d’une société d’investissement avec d’autres investisseurs, dans quelles directions souhaitez-vous aller ?

FB : Notre envie est de continuer à investir le segment du luxe abordable, tout marché et tout secteur, c’est-à-dire la mode, la bijouterie, le food, la cosmétique, la décoration, la haute technologie, l’enfant, le voyage et l’éducation pourquoi pas. Avec quelques fidèles associés et investisseurs, nous travaillons en ce moment à la création d’un fonds qui nous permettra de prendre des participations dans de jeunes marques dirigées par de jeunes entrepreneurs, ayant de beaux produits, ayant déjà fait un essai concluant, et dont le chiffre d’affaires tourne entre 3 et 5 millions. Notre idée est de nous positionner comme des accélérateurs de croissance. Nous annoncerons en janvier l’entrée au capital d’une très belle marque d’homme à fort potentiel dans laquelle nous prenons 40 % de participation, que l’on accompagne dans le développement (la marque vient d’ouvrir ses corners aux Galeries Lafayette Haussmann, Toulouse et Bordeaux ainsi que prochainement au Printemps Haussmann et Lille, ndlr) et dont on souhaite voir les chiffres d’affaires se multiplier par 10. D’autres marques de bijouterie fantaisie, une marque de prêt-à-porter femme et une autre en food nous intéressent aussi. Nous co-investirons également sur des deals plus gros, aux côtés de fonds d’investissement ou d’institutionnels référents du luxe abordable.

FM : Un mot sur la Fondation que vous avez créée ?

FB : C’est une fondation privée à laquelle j’ai donné une partie de mes actions lors de la vente à KKR. L’idée était de redonner à la société civile une partie de ce qu’elle m’a donné. Je n’aurai pas d’enfants, et je souhaitais donc avoir ce plaisir unique de donner quelque chose de moi et de permettre à d’autres de grandir, de vivre leur vie. Ma fondation, créée là aussi avec Guillaume Foucher, intervient entre autres dans l’agriculture en Afrique australe, régions dans lesquelles nous testons de nouvelles formes d’agriculture en milieu désertique, dont la permaculture inspirée de l’écologie naturelle. Nous allons monter également un projet agricole durable et de réinsertion sociale juste à côté du Domaine de Fontenille, dans le Luberon. Enfin, nous soutenons aussi la mairie de Paris à travers des programmes d’apprentissage du français par l’art et nous ouvrirons bientôt un centre d’art contemporain et des résidences d’artistes au Domaine de Fontenille.

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