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Frédéric Laffort (Safilo) : "Nous assistons à un virage important sur la catégorie optique"

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23 août 2021

Frédéric Laffort, directeur général Europe du Nord de Safilo, dresse pour FashionNetwork.com le panorama actuel du marché de la lunette en revenant sur son évolution ces dernières années et sur les changements survenus avec la pandémie, tout en expliquant la stratégie mise en place par le groupe de lunette italien pour transformer son modèle de business et affronter les nouveaux défis du secteur.
 

​Frédéric Laffort - Safilo


FashionNetwork.com : Comment vivez-vous l’intrusion des groupes de luxe dans l’activité de la lunette ?

Frédéric Laffort :
C’est un événement important pour l’industrie, mais qui était attendu. Un peu comme ce qui s’est passé pour les parfums. Face à ce changement majeur, nous avons dû nous transformer. En 2015, le groupe Kering a décidé de verticaliser son activité lunettes en la gérant en interne, suivi par LVMH. La seule différence, c’est que le premier ne gère pas la production mais juste les marques. Jusqu’en 2015, nous étions relativement dépendants de ces deux colosses puisque nous avions dans notre portefeuille de licences la quasi-totalité de leurs marques. Nous avons perdu tous les labels du premier. Concernant LVMH, la griffe Fendi est partie fin juin, et nous n’avons plus en charge désormais que les lunettes de Givenchy et celles de Marc Jacobs, dont la licence court jusqu’en 2026.

FNW : Comment avez-vous évolué?

FL:
Nous avons commencé à travailler sur la transformation de notre organisation, de notre portefeuille et de notre mise sur le marché, c’est-à-dire la manière dont nous allons vendre nos produits auprès des opticiens. Nous sommes toujours sur le segment luxe de la lunette. Nous venons de signer par exemple un accord de licence avec Carolina Herrera et en mai avec Dsquared2. Sur ce segment, les lunettes sont vendues à un prix supérieur à 200 euros. Ce marché, en France, représente 23% des ventes totales. Le marché premium, situé entre 100 et 200 euros la paire de lunettes, pèse 57-58%. Nous avons accentué notre présence sur ce segment très important du premium lifestyle, où nous avons une très grande opportunité.
 
FNW : Quelles sont vos marques premium et lifestyle?

FL :
Nous avons par exemple les collections Boss et Hugo, mais aussi celles de Tommy Hilfiger, qui ont été développées chez nous et connaissent un succès retentissant. Nous sommes en train de doubler leur part de marché en France sur le premier semestre 2021 par rapport à 2019. Nous avions aussi des marques en licence dont le potentiel de développement n'avait pas été mis à profit. Enfin, nous avons lancé de nouvelles marques de lunettes à cheval sur les segments premium et luxe.
 
FNW : Lesquelles?

FL :
Nous développons la première ligne de lunettes d’Isabel Marant, une marque qui apporte beaucoup de fraîcheur sur le marché de la lunette. Nous avons cherché à garder son ADN créatif tout en réalisant des lunettes portables. La collection a été développée avec le studio de la créatrice par une équipe conjointe entre la France et l'Italie pour répondre au mieux à la demande française. La première collection, lancée il y a six mois, connaît un vrai succès avec des chiffres de sell-out (ventes effectuées auprès du client final, ndlr) très élevés, supérieurs même à ceux de certaines grandes marques.
 
FNW : Quels sont vos autres leviers de croissance?

FL :
Nous souhaitons mettre l’accent sur nos marques propres, qui représentent pour l’instant un quart du chiffre d'affaires. La volonté est d'arriver à 50% d'ici à 2024. Aux labels Carrera, Polaroid, Smith et Safilo se sont ajoutées l’an dernier, via des acquisitions, des marques américaines nées sur le Net: Blenders et Privé Revaux. En particulier, nous sommes en train d’étendre Blenders, une marque communautaire californienne lifestyle distribuée seulement aux Etats-Unis et en ligne ou sur les réseaux sociaux dans d’autres pays anglo-saxons.
 
FNW : Vous avez également mis le turbo sur le digital…

FL:
Effectivement, notre stratégie digitale inscrite dans le plan industriel 2020-24 a été accélérée avec la pandémie. L’apport d’experts et de consultants, ainsi que des logiciels et solutions de Salesforce nous ont permis de redéfinir notre plateforme de vente B2B You&Safilo, qui permet à l’opticien d’interagir avec le groupe 24 heures sur 24.
 

L'un des modèles de lunettes Isabel Marant développé par le groupe - Safilo


FNW : Quels services y offrez-vous?

FL :
L’opticien peut découvrir sur You&Safilo la totalité des collections et des marques pour passer commande et voir la disponibilité du produit. Par ailleurs, un système de service après-vente lui consent de récupérer branches et montures et de répondre au plus vite aux problèmes de produits défectueux. On est sur un modèle ergonomique facile à utiliser. Cela a surtout aidé les vendeurs pendant les confinements, qui ont dû renforcer leur présence en magasin avec la mise en place de rendez-vous personnels avec les clients, à organiser leurs commandes quand ils le souhaitaient.
 
FNW : Quels résultats avez-vous obtenus?

FL :
Sur les 6.500 opticiens avec lesquels nous travaillons en France, 91% ont ouvert un compte sur notre plateforme, qui représente aujourd’hui 11% de notre chiffre d’affaires avec des disparités importantes d’une région à l’autre. Historiquement, l’opticien a toujours eu besoin de voir les montures et de les toucher. Notre présence sur le terrain reste cruciale et nous avons effectué de nouveaux recrutements concernant nos forces de vente. Mais grâce à cette plateforme, nous avons une mise en marché hybride, qui facilite la prise de commande sur les produits connus.
 
FNW : Comment a évolué le marché de la lunette?

FL :
Il y a vingt ans, la lunette était vue comme une source de revenus additionnels. Ce n'était pas prioritaire. Depuis cinq ans, cette catégorie de produits est devenue très importante pour la stratégie des marques. C’est un produit très, très visible, offrant aux griffes une couverture forte, en particulier sur les réseaux sociaux, qui leur permet de communiquer sur leur ADN à travers un accessoire accessible. Autre changement, alors qu'il y a vingt ans, le marché était centré sur le solaire, depuis cinq ans, nous assistons à un virage important sur la catégorie optique. C'est le produit le plus porté par l'homme et la femme au quotidien. Les prescriptions de correction visuelle ont fortement augmenté avec les confinements et les longs moments passés sur ordinateurs, tablettes et téléphones. Pour les maisons, leur présence sur la catégorie optique est devenue clé.
 
FNW : Quel est le poids du marché des lunettes de vue aujourd’hui?

FL :
Il représente 80% du chiffre d’affaires de l’Europe du Nord, 85% en Angleterre. L’optique est aussi un marché très important en France. On prévoit une croissance annuelle autour de 4-5% au niveau mondial, notamment avec la montée du pouvoir d’achat des classes moyennes. C’est une tendance de fond. Sans compter l’impact des écrans. Par exemple, en Asie, nous observons un phénomène de myopie auprès des adolescents, qui touche près de 80% d’entre eux.
 
FNW : Quels sont les principaux marchés de Safilo?
FL :
Les Etats-Unis constituent le plus grand débouché pour le groupe. Ensuite, il y a l’Europe du Nord, avec la France en tête, suivie de l’Allemagne. Puis, l’Amérique latine et l’Asie.
 
FNW : On assiste à une reprise du marché. Quelle est votre analyse?

FL :
En dépit de la perte de la licence Dior, Safilo a réalisé au premier trimestre 2021 un chiffre d'affaires en hausse de 6% par rapport au premier trimestre 2019. Comme je le disais, alors que la catégorie des solaires a été impactée assez fortement pendant la pandémie, faute de voyages et de déplacements en week-end, les ventes de lunettes optiques sont restées stables, voire ont progressé dans certains pays. Il y a notamment eu un rebond très fort en Angleterre en 2021, car le pays avait été impacté par un confinement plus strict. La lunette se révèle une catégorie résiliente avec un potentiel de croissance important. Malgré le changement de modèle de business, qui a touché ce secteur ces dernières années, le marché reste très grand et est très dynamique.
 

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