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Clémentine Martin
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Guillem Gallego (Desigual): "Nous allons devoir négocier avec les réseaux sociaux comme nous le faisions auparavant avec les distributeurs"

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Clémentine Martin
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2 déc. 2020

Guillem Gallego est devenu responsable marketing de Desigual fin 2018. C’est un poste clef que lui a confié Thomas Meyer, le fondateur de l’entreprise, et une grande responsabilité: celle de réinventer l’image de Desigual et de faire sortir le label de sa zone de confort. Quelques mois plus tard, l’enseigne présentait une nouvelle identité, assortie d’un logo repensé. Avec un positionnement plus jeune et (encore) plus disruptif, elle a dévoilé sa collection 2020 lors de la foire Miami Art Basel via une performance qui a su retenir l’attention des médias. Peu de temps après, le propriétaire de l’entreprise s’est livré à un exercice auquel on ne l’avait encore jamais pris: la prise de parole en public, pour la première fois de l’histoire de la marque. Alors que les choses semblaient s’améliorer pour Desigual, la pandémie est arrivée et a obligé l’enseigne catalane à revoir sa feuille de route. Guillem Gallego révèle les étapes de ce processus de changement accéléré à FashionNetwork.com.


Guillem Gallego, le directeur marketing de Desigual - Desigual


"Nous voulons sortir du statu quo et essayer des choses que les autres n’osent pas faire", estime Guillem Gallego. "Nous traitons les mêmes sujets que d’autres marques, comme le développement durable ou l’inclusion, mais nous voulons le faire d’une façon unique, en repoussant les limites pour emmener la communication vers un nouvel espace où nous pouvons créer la surprise", commente le responsable, qui a officié dans les rangs de Nike pendant plus de dix ans.

La pandémie a frappé l’entreprise dans un moment crucial de sa transformation, alors qu’elle venait de passer un an et demi à travailler sur son repositionnement et sa nouvelle stratégie. "Le Covid-19 est arrivé l’année où nous allions faire l’investissement le plus grand, lancer des campagnes, changer de collection… Nous l’avons traversé avec beaucoup d’angoisse et avons mis en place de nombreuses actions pour survivre et pour préparer les jours d’après", se remémore Guillem Gallego. Cette crise inattendue est vue par le dirigeant comme un contexte "intéressant", malgré tout.

"Le côté positif de cette situation, c’est qu’étant donné que nous avons dû fermer de nombreuses boutiques, nous avons un peu arrêté de ne voir que la distribution physique dans notre rétroviseur. Dans le cas de Desigual, cela représentait une grande partie de notre activité. En nous concentrant sur le digital, nous avons beaucoup appris et nous avons développé de nouveaux aspects auxquels nous n’avions pas accordé suffisamment d’attention auparavant", explique-t-il.

"Quand plus personne ne sort dans la rue et que tout le trafic a lieu en ligne, c’est là qu’il faut être"



Durant ces mois marqués par une grande incertitude et de multiples restrictions, Guillem Gallego insiste sur la nécessité de se mettre à la place du client, de savoir où "il est, s’il est toujours à la maison, s’il doit télétravailler…". Et de renchérir: "S’il n’y a plus personne dans la rue et que tout le monde est sur internet, c’est là où nous devons être et capter l’attention du public", résume-t-il.


Miranda Makaroff x Desigual - Desigual


Desigual a notamment concentré ses efforts sur "les réseaux sociaux et la génération de trafic sur le web pour tenter d’attirer les consommatrices".

Desigual réduit son échelle, mais gagne en agilité



Pour faciliter cette adaptation rapide, la dimension de l’entreprise, réduite depuis le départ du fonds Eurazeo de son actionnariat en 2018, a représenté un atout pour mettre en œuvre des changements stratégiques: "Nous ne dépendons de personne, et cela nous a beaucoup aidé à passer ce moment difficile de la meilleure façon possible", relève Guillem Gallego.

Au début de la pandémie, seules quatre personnes dont Thomas Meyer allaient au bureau pour "superviser ce qui se passait dans plusieurs pays et décider ce que nous devions faire avec les boutiques, les ateliers, les équipes, les dispositifs de chômage partiel…" Il conclut : "Ces moments de grande incertitude ont aussi été des périodes de grande agilité, et je crois que c’est grâce à ces décisions que nous avons pris si rapidement que nous sommes encore là aujourd’hui."

"Nous avons vécu des moments très particuliers. Quand nous y repenserons dans quelques années, nous réaliserons que nous avons beaucoup appris", médite Guillem Gallego. Il conserve un ton plein d'entrain les temps à venir:"Je crois que nous avons une proposition de marque puissante, que la vie est belle et qu’il faut la vivre à fond. Il faut rester très optimiste concernant ce qui nous attend à l’avenir", soutient-il.

"Les marques vont davantage réfléchir au budget qu’elles dépensent dans les événements physiques"



Plus pragmatiquement, Guillem Gallego souligne l'évolution de la confiance envers l’achat en ligne qui s’est produite ces derniers mois: "Il y a un changement chez les consommateurs, même chez les générations les plus âgées, qui sont maintenant connectées par nécessité. Les habitudes d’utilisation et la consommation digitale ont plus gagné en puissance en six mois qu’elles ne l’auraient fait en cinq ans dans des circonstances normales. Évidemment, le monde normal et les boutiques vont revenir, mais la connectivité et l’omnicanalité seront consolidés après cette pandémie", avance-t-il.

Quelle place restera-t-il pour les événements en présentiel ? "Grâce au monde digital, nous comprenons aujourd’hui que le physique est important dans des moments tactiques pour séduire de nouveaux publics, pour faire les choses en grand et pour transmettre un message, mais nous apprenons aussi que la façon dont nous communiquons nos contenus mois après mois est très adaptée", analyse-t-il. Aujourd’hui, difficile d’imaginer débloquer un budget pour un événement physique. De plus, leur organisation "vaut énormément d’argent".

"Je pense qu’il va être de plus en plus difficile pour la marque de vivre de grands événements physiques de manière authentique, à moins qu’il s’agisse d’événements très disruptifs comme ce que nous avons fait pour Miami Art Basel", reconnaît-il avec sincérité. "Je crois que les marques vont davantage réfléchir au budget qu’elles dépensent dans les événements physiques et au rôle qu’elles y occupent", anticipe-t-il.

Les réseaux sociaux, nouveaux canaux de distribution



Dans ce cadre, les réseaux sociaux ont une place de plus en plus importante, d'autant que ces derniers deviennent des lieux de vente: "Au moment où Facebook et Instagram se sont unis, nous avons su que ces canaux allaient être monétisés pour se convertir en quasi-boutiques. Mais cela arrive bien plus rapidement que ce que nous avions anticipé", relève Guillem Gallego.

"Nous allons devoir négocier avec les réseaux sociaux comme nous le faisions auparavant avec les distributeurs", se projette-t-il. Selon lui, ils feront office "de canaux de vente", donc "il faudra payer des commissions pour chaque vente, et pour faire croître les ventes, il faudra acheter du trafic".


Le couple d’activistes des réseaux sociaux @devermut, portant un modèle de veste hybride de Desigual - Desigual / @devermut


"Nous sommes dépendants de ces géants qui disposent aujourd’hui d’un énorme pouvoir d’influence et de commercialisation. Ce sont eux qui dictent les normes du retail", dévoile-t-il. Et comment cela se traduit-il chez Desigual? "Nous faisons des expériences, des tests dans plusieurs pays pour voir comment fonctionne ce nouvel outil, par exemple. Nous faisons preuve de prudence cependant, car le niveau d’investissement est élevé et nous devons y aller pas à pas."

Concernant l’avenir, Guillem Gallego pense qu’il est nécessaire de s’appuyer sur "des produits qui inspirent de la joie et de la bonne humeur, et c’est justement ce que nous faisons". Malgré les difficultés, l’entreprise n’a pas l’intention de se rendre: "Nous avons une stratégie ferme avec des objectifs bien définis et des valeurs claires. Desigual était déjà une marque très connue, mais son essence était invisible. Aujourd’hui, nous construisons les bases de l’avenir de l’entreprise, de façon de plus en plus claire et cohérente", conclut-il.

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