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7 avr. 2020
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La difficile organisation d’une saison masculine sans défilés

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7 avr. 2020

Alors que toute la filière textile est quasiment à l’arrêt en Europe et qu’elle reprend doucement ses activités en Asie, la décision d’annuler la plupart des Fashion Weeks masculines et les principaux salons pour le mois de juin n’a pas manqué de provoquer une onde de choc. Comment se passer pour les marques de ce grand moment de visibilité que constitue le défilé ? Quand et où vont-elles présenter leur collection pour le printemps-été 2021 alors qu’elles ne bénéficieront pas de l’afflux international des acheteurs dans l’une ou l’autre des capitales de la mode ?
 

L'homme de Gucci défilera avec la femme en septembre - © PixelFormula


Ce sont toutes ces questions sur lesquelles sont en train de raisonner les maisons de luxe, prises de court par la décision des principales institutions de la mode, de Paris à Milan en passant par New York. La Fashion Week masculine parisienne, qui devait se tenir du 23 au 28 juin a été annulée. Celle de Milan initialement prévue du 19 au 23 juin a été reprogrammée en septembre. Elle se tiendra durant la Semaine féminine du 22 au 28 septembre. Celle de New York, qui devait se tenir du 8 au 10 juin a été reportée, sans que de nouvelles dates soient précisées.
 
Dans la foulée ont été annulés en cascade les salons professionnels parisiens positionnés habituellement fin juin (Man, Splash Paris, Tranoï, Unique, Interfilière et View), tandis que le grand rendez-vous du menswear, qui ouvre généralement la saison à la mi-juin, le Pitti Uomo, a été repoussé à début septembre, du 2 au 4, sur trois jours contre quatre habituellement.

De Louis Vuitton à Dior, en passant par Giorgio Armani, Ermenegildo Zegna, Valentino ou encore Brioni ou Berluti, la plupart des griffes de luxe n’ont pas souhaité répondre à nos questions.  Pour elles, "il est trop tôt", "nous sommes en train d’évaluer la situation", "nous travaillons intensément à tous ses aspects pour faire face aux changements rapides qui sont en train de se vérifier", "nous sommes encore en train de nous organiser en interne et avons besoin de temps avant de pouvoir nous prononcer"…

Ces réactions laissent transparaître en tous cas le grand désarroi dans lequel les maisons se trouvent aujourd'hui face à une situation extrêmement incertaine et changeante. Seule Gucci s’est positionnée clairement en annonçant que sa collection masculine défilerait en septembre à Milan "en ligne avec la décision prise par la Camera nazionale della moda italiana (CNMI)" . Pour le reste, la marque phare de Kering juge elle aussi "qu’il est encore prématuré pour se prononcer sur d’éventuelles décisions concernant les prochaines campagnes de vente", mais qu’elle sera prête "quelle que soit la décision finale qui sera prise".
 
En attendant, comme beaucoup d’autres marques depuis le début du confinement, Gucci mise sur le digital. En s'appuyant sur une expérience pilote lancée ces derniers mois, elle a "activé une expérience de showroom digital, accessible à tous les acheteurs et clients qui normalement seraient venus voir la collection sur place". De cette façon, elle a pu "reproduire numériquement l'expérience du showroom d'une manière innovante, donnant la possibilité d'accéder à des vues à 360° des différents vêtements, de zoomer sur certains détails et d'acheter les vêtements souhaités, le tout à travers le même outil."
 
Pour d’autres, telle que Lardini, marque italienne spécialisée dans l’habillement masculin haut de gamme, fournissant aussi d’autres griffes, la collection sera également présentée aux acheteurs internationaux en ligne, tandis qu’en Italie elle sera dévoilée dans les showrooms régionaux de ses agents. Le directeur créatif Luigi Lardini estime, en revanche, qu'il ne lui sera pas possible de vendre la collection printemps-été 2021 en septembre, comme le suggère l'organisation du Pitti Uomo et des défilés masculins à cette période.

Certains de ses clients multimarques, en particulier ceux du Japon, son deuxième débouché après l’Italie, réclament les premiers échantillons pour mi-mai. "Pour cette raison, nous ne participerons pas à la prochaine édition du Pitti Uomo. Nous considérons que le salon ne sert à rien en septembre, car personne ne veut acheter à ce moment-là, d’autant que la collection estivale doit être livrée à l’étranger dès novembre-décembre. Cela nous aurait davantage aidés que le Pitti organise son salon virtuel en juin", fustige Luigi Lardini.

Pour l’entrepreneur, qui avait déjà commandé les tissus, la production de la collection ne l’inquiète pas, à condition que les usines, aujourd’hui à l’arrêt, soient autorisées à rouvrir "maximum d’ici au 18-19 avril". "Le grand problème, c’est le manque de clarté de la part du gouvernement et des institutions. Les gens veulent avoir une certaine sécurité et tranquillité", lâche-t-il.
 

L'usine de Lardini est pour l'instant reconvertie pour fabriquer des masques -DR


Pal Zileri, autre griffe de luxe de menswear, qui présente généralement sa ligne jeune "Lab Pal Zileri" au salon florentin, a confirmé quant à elle sa présence au prochain Pitti Uomo. "Tout sera compressé en septembre, mais il est important de se retrouver tous ensemble au salon, car le business doit repartir. Il faut donner un signal fort, dont le système mode a besoin. En fait, on revient à ce qui se pratiquait dans les années 1980 lorsque les collections homme étaient présentées avec la femme. Et puis cela pourrait se transformer en opportunité pour changer les rythmes des Fashion Weeks actuelles, dont tout le monde se plaint", avance la directrice communication et marketing Maria Rosaria Lombardi.
 
A la tête du concept store de luxe milanais 10 Corso Como, Carla Sozzani va dans le même sens : "Un réalignement sur une période moins encombrée et plus cohérente avec les saisons permettrait des contenus plus innovants", souligne-t-elle, tout en évoquant "un moment historique très difficile".
 
Pour Pal Zileri, la collection pour l’été 2021 était déjà prête et sa réalisation avait été lancée. Mais avec l’urgence coronavirus, le groupe a été amené, comme ses concurrents, à repenser son organisation. "Il est évident que la campagne de vente estivale aura une forme réduite. L’arrivée des acheteurs étrangers à Milan ne sera guère possible en juin. Du coup, nous sommes en train de nous activer pour construire un showroom virtuel", poursuit Maria Rosaria Lombardi.
 
"Si les entreprises pouvaient redémarrer leur activité en Italie après Pâques vers le 16 avril, cela permettrait de livrer les collections estivales fin juin et de commencer à travailler sur l’hiver. Disons que l’élément positif de ce mois de juin privé de manifestations, c’est qu’il n’y a plus d’épée de Damoclès pour les marques, leur laissant plus de flexibilité pour réaliser leurs collections", considère Claudio Marenzi, PDG de la marque de pièces à manches Herno et président de Pitti Immagine et de Confindustria Moda, l’organisation patronale du secteur textile et habillement en Italie.
 
Pour lui, il est impossible d’imaginer aujourd’hui quel sera l’état d'esprit des distributeurs et des acheteurs en juin, en pleine période de déconfinement. "Il faut comprendre à quel moment ils seront disponibles mentalement à acheter l’été 2021. Je doute que cela se passe en juin. Il y aura très probablement une dilution de la campagne de ventes jusqu’en septembre. Ce sera là le moment clou de la saison, avec des ventes, qui s’organiseront soit de manière virtuelle, soit comme autrefois en chargeant la collection dans la voiture pour aller la présenter aux distributeurs", expose-t-il.
 
"Les marques qui espèrent vendre entre juin et août vendront certainement moins que celles qui se positionneront en septembre, car les boutiques ne seront pas prêtes à acheter aussi tôt. En plus, cela laissera davantage de temps pour produire. Sans doute, les acteurs de la mode commenceront un peu à bouger à partir de fin août", note encore Claudio Marenzi.
 
Dans l’incertitude actuelle et avec le peu de visibilité sur le type de mesures qui seront prises dans la phase de déconfinement, les interrogations sont nombreuses et les rumeurs vont bon train. En septembre, les Fashion Weeks adopteront forcément un nouveau format, probablement plus ramassé avec un public restreint.
 
On murmure déjà que Londres et New York pourraient également abdiquer en septembre. Comme pour Milan, Paris devrait accueillir des défilés mixtes homme et femme. Selon certains, une semaine masculine réduite pourrait même venir se greffer à la suite de la Fashion Week femme début octobre à Paris…
 
Du côté de la Fédération de la Haute Couture et de la Mode, on assure que l'organisation de la Semaine du prêt-à-porter de septembre n’est pas encore l’ordre du jour. Compte tenu de la situation, tous les scénarios peuvent encore s’imaginer. Mais à ce jour rien n’est statué.

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