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3 oct. 2022
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Laurent Milchior (Etam): "Il faut une forme de fast-fashion qui soit durable"

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AFP-Relaxnews
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3 oct. 2022

A la frontière entre réel et virtuel, la 15e édition de l'Etam Live Show, qui s'est tenue dans les jardins des Archives nationales, a été marquée par la mise en vente de 250 NFT et la possibilité pour le public de découvrir les coulisses du défilé à travers des lunettes intelligentes. Laurent Milchior, cogérant du groupe Etam, revient sur cette percée dans le métavers et décrypte les initiatives entreprises par la marque ces derniers mois pour tendre vers une lingerie toujours plus green et inclusive.

Laurent Milchior aux côtés de l'égérie de la marque, Constance Jablonski - DR


Ce nouvel Etam Live Show a plongé le public à la frontière entre réel et virtuel. Peut-on dire qu'Etam a officiellement fait son entrée dans le métavers?

Laurent Milchior: Je ne sais pas si on peut parler d'une entrée officielle dans le métavers, parce que cela demande un certain investissement, mais c'est effectivement un premier pas. Se lancer pleinement dans le métavers nécessiterait d'avoir des avatars qu'on pourrait habiller avec des produits de la marque, voire des showrooms en 3D, qui sont très coûteux, et n'ont pas encore vraiment d'usages dans nos sociétés. Toutes les nouvelles technologies doivent être testées un peu en avance, mais sans l'être trop non plus, et je pense que nous sommes justement dans le bon timing. On a commencé au mois de mai pour notre défilé croisière, avec la création de 40 NFT, et, pour ce nouvel Etam Live Show, nous sommes passés à 250 NFT (cinq bodys édités à 50 exemplaires numérotés, ndlr) avec en prime les lunettes Ray-Ban Stories (portées par des mannequins et des invités pour présenter les coulisses du show, ndlr). On avance progressivement, et au bon rythme, sur le web 3.0.

Comment ont été reçues ces initiatives par les clients et le public d'une façon plus générale?

LM : Je n'ai pas encore eu de retour sur le nombre de vues pour les vidéos avec les Ray-Ban Stories, mais cela a en revanche très bien fonctionné pour la vente des NFT. A l'issue du show, les résultats étaient déjà au-delà de nos objectifs. Le défilé était aussi 'shoppable' en direct, ce qui signifie qu'il était possible d'acheter les produits du défilé via la vidéo. Cela a également très bien marché. Nous avons fait de grosses ventes pendant le show, dont le dispositif commence à être rodé.

Peut-on s’attendre à plus long terme à se voir proposer de la lingerie Etam pour nos jumeaux virtuels?

LM : Nous avons toujours eu un temps d'avance en matière de technologies, que ce soit avec l'e-commerce, ou les iPads en magasins qui permettent d'avoir un stock unifié, mais cette fois cela va prendre un peu plus de temps. Le métavers nécessite des 'devices' (des équipements, ndlr), en l'occurrence des lunettes, et une totale immersion… La contrainte est donc plus importante que de posséder un simple smartphone. Ceci dit, je pense que tout ce qui concerne la blockchain et les NFT va vraiment révolutionner une partie de la propriété digitale. Mais va-t-on vraiment un jour se balader dans une boutique virtuelle pour acheter de la lingerie Etam pour son avatar? Je ne sais pas. Il y a plus d'avenir pour le prêt-à-porter que pour la lingerie dans le métavers, car il s'agit d'expression sociale, que ce soit pour mettre en avant sa réussite ou son appartenance à un groupe, et la lingerie étant cachée, c'est forcément moins évident. Il ne faut pas oublier non plus que dans le métavers, et plus largement dans le digital, il y a une censure très importante autour de tout ce qui est à caractère sexuel. Avec la lingerie, nous sommes à la frontière, donc j'imagine qu'elle aura un rôle un peu différent dans ces nouveaux mondes virtuels.

Le métavers n’en est qu’à ses balbutiements, pourtant l’industrie de la mode semble déjà à la pointe en la matière. N’est-ce pas prématuré si l’on considère qu’une large partie de la population ne s’est toujours pas familiarisée avec le concept?

LM : Il y a deux choses: le métavers et le web 3.0. Pour le luxe, le NFT a une fonction très importante, ne serait-ce que parce qu'il évite les faux et garantit une traçabilité. L'enjeu est donc majeur pour les maisons de luxe. Il l'est beaucoup moins pour nous, car la valeur de nos produits fait que le besoin d'avoir un suivi est quand même moindre. A toutes les époques, ce sont les industries qui marchaient le mieux et qui étaient les plus riches qui ont d'abord investi dans les nouvelles technologies. Et c'est bien évidemment toujours le cas. Aujourd'hui, le luxe est l'industrie la plus riche avec celle de la technologie, il est donc normal que les deux travaillent main dans la main, et que les nouvelles technologies nourrissent l'industrie du luxe. C'est aussi un moyen de tester toutes ces innovations. Au final, ces percées dans le métavers sont ludiques, et permettent d'apprendre, de parler de la marque, et de faire en sorte qu'elle reste moderne et à la page… Ensuite on y trouvera des usages.

La problématique environnementale était-elle également au cœur de cet Etam Live Show 2022?

LM : Sur une partie, oui bien sûr, mais dire qu'un défilé est neutre en carbone, ce ne serait pas vrai, même si l'on compense nos émissions. Nous avons toutefois réduit au maximum, là où on le pouvait, notre empreinte. Quant à nos collections, nous investissons énormément sur notre programme WeCare. Pas moins de 55% de nos produits sont aujourd'hui sous ce label qui garantit des pièces conçues à partir de matières recyclées à plus de 50% ou de matières biologiques certifiées à plus de 50%. Il est important pour ça de créer un cercle vertueux: faire la promotion de nos collections, pour les vendre, pour se permettre d'investir dans ce programme, et parvenir à créer une mode plus circulaire, et préserver l'emploi. Par ailleurs, nous avons déjà réduit nos émissions de 50% depuis 2017, et on s'engage à les baisser encore de 40% d'ici 2030. C'est absolument essentiel.

Etam est une entreprise familiale française, avec un savoir-faire corsetier centenaire, et un centre de prototypage dans le nord de la France, mais la marque demeure associée à la fast-fashion… Comment l’expliquez-vous?

LM : Qu'appelle-t-on aujourd'hui fast-fashion? Oui, nous renouvelons fréquemment nos collections, mais c'est exactement ce que veut le consommateur. Tout ça est assez antinomique en fait. On sort d'une grosse pandémie, et plus précisément de gros arrêts économiques liés au Covid-19, et on a l'impression que tout le monde est devenu plus responsable… Mais ce que l'on voit chez nos clientes, au sortir de cette crise, c'est qu'elles veulent avant tout des nouveautés fréquentes et des coups de cœur. La notion de plaisir reste le plus important pour elles. On le voit pendant les périodes de soldes, les produits moyens qu'on démarque ne partent plus du tout. Les clientes n'achètent plus des produits dont elles n'ont pas besoin pour la seule raison qu'ils sont abordables, elles vont acheter des produits dont elles ont vraiment envie. Il faut donc un système qui permet d'adresser rapidement les besoins des consommateurs, et ça ne peut être qu'un système de fast-fashion, qu'on le veuille ou non. Il faut une forme de fast-fashion qui soit durable, et on planche actuellement sur des solutions, mais ça prend forcément du temps.

La marque s’est engagée depuis deux ans déjà dans une démarche de plus grande transparence, avec la possibilité pour les consommateurs d’accéder à la carte d’identité des usines qui ont produit la lingerie. Cette démarche a-t-elle porté ses fruits auprès des clients?

LM : Il était très important de le faire, et je suis vraiment fier de l'avoir fait. Mais relativement peu de clientes scannent nos QR codes. Pour autant, on a aussi pour vocation de faire évoluer l'écosystème, et il est important qu'on habitue nos clientes à voir ce type de démarches, et elles y sont d'ailleurs de plus en plus sensibles. Cela va devenir un standard, et ça leur montre aussi que nous n'avons rien à leur cacher. Elles peuvent, si elles le souhaitent, vérifier la carte d'identité des usines avec lesquelles nous travaillons, que ce soit en termes d'effectifs, de spécialités, etc. Il est essentiel que les leaders apportent cette transparence.

Au début de l’année 2022, Etam a ouvert une nouvelle usine en Tunisie. Y a-t-il à terme une volonté de relocaliser les usines en France?

LM : Il y a une volonté de se rapprocher, c'est certain. En France, j'aimerais beaucoup, mais à nos niveaux de prix, ce n'est clairement pas possible. Il faut être clairvoyant. Aujourd'hui, pour un soutien-gorge que l'on fabrique en Asie, la part de main-d'œuvre est estimée à 50%... En France, elle serait multipliée par trois ou quatre, donc le coût de revient augmenterait aussi considérablement, et il faudrait inévitablement le vendre beaucoup plus cher. Seules certaines marques du groupe produisent en France. C'est le cas de Livy, mais parce qu'elle est positionnée haut de gamme, ce qui permet de le faire, sinon c'est très compliqué. L'usine en Tunisie va notamment nous permettre de réduire les invendus, et de suivre au plus près les tendances des consommatrices, c'est très important.

L'inclusion était une fois encore au centre du défilé Etam. La beauté inclusive est-elle aujourd’hui primordiale dans un secteur comme la lingerie?

LM : Il est absolument essentiel de célébrer toutes les beautés, tout en conservant un sens esthétique. C'est ce que l'on a fait pour le défilé. Quand on parle de célébrer tous les corps, il est important de rappeler qu'il faut des produits pour tous et toutes: les femmes fines, les femmes rondes et les femmes de taille moyenne. Il faut respecter les trois typologies de corps. Il ne faut surtout pas les opposer, mais les faire vivre ensemble. C'est très important.

On a parlé de digital, d'environnement, d'inclusion… Est-ce que ce sont les trois fers de lance du changement chez Etam?

LM : Je pense qu'il manque une chose : la mode et le plaisir. Aujourd'hui, toutes les entreprises font leur transformation environnementale, digitale et sociale, mais ce n'est pas ce qui crée la valeur d'une société. C'est la proximité avec les clients, la capacité à les faire rêver, à développer des produits qui leur plaisent, et à créer la préférence par rapport à la concurrence. Beaucoup d'entreprises ont investi énormément sur la transformation digitale, en oubliant un tout petit peu qu'il faut aussi communiquer, faire évoluer le produit, et investir sur la marque; chose que nous faisons. Les trois piliers que vous évoquez sont les piliers de la transformation de fond, mais on a toujours la mission d'inspirer un maximum de femmes à travers le monde tout en respectant nos valeurs.

(ETX Daily Up)

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