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29 sept. 2020
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Magali Moulinet-Govoroff : "10.000 litres d'eau consommés pour un jean, c'est aberrant !"

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AFP-Relaxnews
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29 sept. 2020

Souvent présentée comme la deuxième industrie la plus polluante au monde, la mode est en pleine mutation pour réduire son impact sur l'environnement. Mais comment produire et consommer autrement après des décennies passées à s'habiller au rythme des tendances, et des collections, voire des collaborations, toujours plus nombreuses ? Alors que s'ouvre la Fashion Week de Paris, les Éditions de La Martinière présentent l'ouvrage "Mode Manifeste - S'habiller autrement", écrit par Magali Moulinet-Govoroff. Spécialiste de la mode et de l'écologie, l'auteure dresse un état des lieux du secteur et évoque différentes solutions pour consommer de façon plus responsable, éthique, et respectueuse de l'environnement.


Magali Moulinet-Govoroff




Qu'est-ce qui vous a motivée à écrire ce livre ?

Ce livre est une photographie de ce qu'est l'industrie de la mode a l'heure actuelle : une mode qui prend désormais en considération les enjeux écologiques, qui commence à se remettre en question et entame une nouvelle ère, résolument tournée vers l'éco-responsabilité et l'éthique. L'écologie est plus que jamais au cœur de nos préoccupations. Pour autant, la mode dite responsable reste un sujet globalement flou. Ce livre est donc avant tout informatif. Il retrace les différentes étapes historiques de la mode pour comprendre comment elle est devenue la deuxième industrie la plus polluante au monde. Il décortique aussi l'ADN d'un vêtement pour connaître les différentes matières commercialisées sur le marché et savoir distinguer les plus écologiques des plus polluantes. Nous pouvons chacun à notre échelle nous habiller plus responsable, peu importe nos moyens ou notre position géographique. Chaque action aura un impact positif sur l'environnement, et c'est l'union de l'ensemble de la filière et des consommateurs qui pourra transformer, à terme, la mode. 

Fast-fashion, surconsommation, rythmes effrénés des défilés… Qu'est-ce qui a fait basculer l'industrie de la mode au point de devenir la deuxième industrie la plus polluante au monde ?
La délocalisation des usines textiles en Asie et la naissance de la fast-fashion ont complètement transformé la manière de consommer la mode dès la fin des années 90. Des magasins démesurés se sont multipliés partout dans le monde, offrant des collections de mode renouvelées chaque semaine à des prix défiant toute concurrence. Le monde est alors entré dans une ère de consommation massive, guidé par des prix toujours plus bas sans jamais s'interroger sur l'éthique et l'impact environnemental de la mode.

Est-ce que ça ne concerne que le prêt-à-porter ?

Le luxe a emboité le pas à cette nouvelle cadence pour moderniser le traditionnel calendrier des collections printemps-été et automne-hiver, jugé peu réactif à la fois par la filière et par les consommateurs eux-mêmes. Les créateurs ont alors ajouté des pré-collections ou encore des collections croisière dans le but de présenter des nouveautés tous les deux mois environ au lieu de six, et a ainsi encouragé la fast-fashion à surenchérir. Il a fallu attendre le burn out des couturiers, le cri d'alarme des ouvriers de ce secteur et bien d'autres scandales écologiques pour que les voix s'élèvent sur l'urgence à repenser intégralement ce modèle économique. Environ 2.700 litres d'eau consommés pour la production d'un t-shirt, 10.000 litres pour un jean, c'est aberrant. Sans parler des millions de tonnes de gaz à effet de serre rejetés par les usines textiles et les moyens de locomotion chargés d'acheminer les marchandises.

Est-ce que ce constat s'applique partout dans le monde ?

La mode pollue, c'est un fait, et elle pollue partout dans le monde. En Asie, où sont concentrées la plupart des usines textiles, l'environnement s'est considérablement modifié : les mers s'assèchent, la biodiversité s'éteint et la pollution se fait ressentir dans l'air. Cette pollution est d'autant plus ressentie qu'elle est intimement liée à l'engagement écologique des marques et de leurs usines implantées localement. Sans traitement des eaux efficace ou de systèmes de recyclage performants, l'environnement est d'autant plus menacé dans des pays en voie de développement. Mais la mode ne pollue pas qu'au stade de sa confection. Chaque lavage en machine libère des milliers de nanoparticules qui rejoignent les mers, puis les océans. Les invendus et les vêtements non recyclés s'accumulent un peu plus chaque année et impactent l'environnement bien après leur fin de vie.


Pour produire une mode éthique et responsable, faut-il revenir à ce qu'était la couture dans la première moitié du XXe siècle ?

Non, ce ne serait pas réaliste. Il faut apprendre à vivre avec son temps et à user intelligemment des progrès de l'industrie pour mieux aller de l'avant. Il faut d'abord et à tout prix que chaque marque contrôle son flux de production pour s'orienter vers un modèle éthique et responsable. La couture manuelle reste et restera l'essence même de la confection de mode, mais à présent d'autres outils permettent de produire de la mode à grande échelle tout en minimisant l'impact écologique.

Quel impact a eu la crise sanitaire sur l'industrie de la mode ?

La pandémie de Covid-19 a pris de court l'ensemble du secteur. Du jour au lendemain, les magasins ont fermé et les usines textiles ont été mises à l'arrêt partout dans le monde. Les géants de la fast-fashion ont été contraints d'annuler leurs commandes auprès de leurs fournisseurs faute de pouvoir les acheminer et les vendre, entrainant des milliers d'ouvriers dans la précarité la plus totale et sans aucun droit social. Cette crise sanitaire a mis en lumière les failles de ces modèles économiques, construits sur la délocalisation, incapables d'être réactifs et incapables également de répondre aux demandes urgentes et localisées - en l'occurrence du matériel à destination du personnel soignant. Parallèlement, la mode a été délaissée durant le confinement. Sans interaction sociale et de réelle nécessité de s'habiller, chacun d'entre nous a mesuré la quantité de vêtements, parfois inutiles, que nous possédons et l'importance de porter une attention particulière à ceux que nous achetons pour éviter que la prochaine crise ne soit intimement liée à l'industrie de la mode.

Les marques ont-elles su réagir ?

Si en France de nombreuses marques ont été fragilisées voire balayées par la crise, d'autres ont tiré leur épingle du jeu en mettant la production locale au service national. Des marques comme 1083, Le Slip Français ou encore Chantelle ont transformé leur activité pour produire masques et blouses médicales en grande pénurie durant le confinement. La crise est loin d'être terminée, de nombreuses marques ont compris l'importance de privilégier les circuits courts et d'anticiper plusieurs scénarios de crise afin de pouvoir faire face à n'importe quelle éventualité.

Aujourd'hui, comment changer concrètement les choses ?

Marques et consommateurs doivent avancer dans la même direction. Les marques de mode les moins engagées doivent revoir leurs modèles économiques, peu importe le temps nécessaire à cette transformation. Les nouvelles doivent impérativement intégrer l'écologie à leur ADN. Plus il y aura de marques écoresponsables, plus les consommateurs achèteront durables et moins la demande pour des vêtements de fast-fashion sera importante. Nous, consommateurs, devons arrêter d'acheter frénétiquement de la mode sans s'interroger sur les conséquences de nos achats. Acheter un vêtement doit désormais être réfléchi : répondre à un réel besoin, savoir où et comment il a été produit et s'il est suffisamment qualitatif pour durer dans le temps. Plus un vêtement est porté et plus son impact environnemental diminue. Du recyclage au surcylage en passant par la location, la vente ou l'achat de deuxième main, il existe une multitude de solutions pour diminuer la pollution textile.

Une production éthique et responsable a un certain coût qui pourrait se répercuter sur le porte-monnaie des consommateurs. Quelles sont les solutions pour éviter cela ?

Acheter un vêtement écoresponsable n'est clairement pas aujourd'hui accessible à tous. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles la fast-fashion prospère sur l'industrie de la mode. Il faut toutefois comprendre qu'un vêtement de fast-fashion n'est pas voué à durer. La qualité médiocre est palliée par une tendance qui répond aux envies des consommateurs en temps réel. Acheter un vêtement écoresponsable plus cher, c'est aussi faire le choix d'investir sur le long terme. Ne vaut-il pas mieux acheter un t-shirt blanc 30 euros et le porter plusieurs années plutôt qu'une dizaine issue de la fast-fashion qui ne tiendront pas la route ?

Est-ce que la fast-fashion peut se relever de la révolution qui s'opère actuellement dans la mode ?

Cernée par l'envie des consommateurs de vêtements plus durables et par la pandémie qui continue sa progression, la fast-fashion est vouée quoi qu'il en soit à se réinventer. Est-ce que la fast-fashion peut se transformer en slow fashion ? Rien n'est moins sûr, mais la plupart des enseignes s'évertuent à proposer des collections plus responsables ou dans des biotextiles innovants, preuve que le secteur se remet en question et comprend les enjeux de demain. Mais au-delà de produire plus responsable, l'essence même d'une marque de fast-fashion est de surproduire continuellement afin de proposer des nouveautés à prix attractifs. Surproduction et prix dérisoires étant incompatibles avec le respect de l'environnement et des droits sociaux,  l'avenir devrait décider si la fast-fashion est vouée à disparaitre définitivement.

La seconde main et la location sont des alternatives responsables, mais ne va-t-on pas à terme culpabiliser le consommateur d'acheter du neuf ?

Il ne faut en aucun cas diaboliser l'achat de vêtements neufs. L'objectif n'est pas de culpabiliser mais d'informer le plus grand nombre à mieux consommer. Il faut donner les clés à chaque consommateur pour que tous ses achats de mode - neufs - soient éclairés : distinguer les matières les plus écologiques, les bons labels, les marques qui valorisent une éthique environnementale et sociale, l'encourager à raisonner sa consommation et à apprendre comment faire durer un vêtement et lui donner une seconde vie.

Certaines marques ont lancé des sneakers en cuir de pomme, de raisin, ou d'ananas, est-ce que les végétaux peuvent se substituer aux fibres animales et synthétiques ?

Les végétaux sont des alternatives responsables qui révolutionnent l'ensemble de l'industrie. En main, certaines d'entre elles sont des dupes bluffant et enregistrent toutes les caractéristiques appréciables des matières déjà existantes. S'il n'existe pas encore d'alternative viable pour le cuir, le Piñatex à l'aspect du feutre se substitue déjà aux peaux animales chez de nombreuses marques, dont celles de la fast-fashion. A mesure du perfectionnement de ces biotextiles, le secteur de l'agroalimentaire et de la mode devraient travailler conjointement en faveur d'une mode plus responsable et les végétaux seront de plus en plus intégrés à nos vêtements de demain.

Dans votre livre, vous évoquez les nouvelles technologies comme une solution pour produire différemment. En quoi peuvent-elles aider ?

Ces outils sont de véritables mines d'or. Ils aident notamment à mesurer l'impact environnemental tout au long des étapes de confection, à contribuer à l'amélioration et à la réactivité du service sur-mesure ou encore à contrôler les dépenses énergétiques d'un point de vente. Là où la fast-fashion produisait en masse en se basant sur des prédictions approximatives, l'intelligence artificielle permet de limiter cette surproduction - et donc le gaspillage textile - en s'adaptant à la demande en temps réel. Avec la crise sanitaire et l'explosion des ventes de vêtement en ligne, les nouvelles technologies seront autant utiles que nécessaires dans les mois et années à venir pour que l'expérience client soit autant, si ce n'est plus, satisfaite que lors d'un achat en boutique physique.

Comment s'habillera-t-on dans 10 ans ?

Sur une note positive, nous pouvons imaginer que s'habiller responsable sera aussi naturel que d'éteindre une lumière en quittant une pièce ou d'éteindre un robinet d'eau. Les matières synthétiques ou animales devraient perdre du terrain pour laisser place aux biotextiles, poussés par les progrès constants des technologies et des innovations. De nouvelles matières issues de la nature ou conçues en laboratoire verront le jour tandis que d'autres fibres comme le chanvre ou le jute, dont l'utilisation reste aujourd'hui anecdotique, pourraient être réintégrées dans nos armoires.
 

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