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24 juil. 2019
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Martial Ballejos, détaillant de Montpellier : « Les gérants de multimarques aujourd'hui sont un peu des fous lucides »

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24 juil. 2019

C’est l’une des figures du commerce de détail du sud de la France. Agé de 35 ans, Martial Ballejos est tombé dans le bain des multimarques tout petit. Son père, Henri, a dirigé quatre magasins de mode à Bagnols-sur-Cèze, dans le Gard, et a fondé la boutique multimarque Majestic à Montpellier en 1988. Depuis plusieurs années déjà, Martial a repris la direction de Majestic, point de vente qu’il a transformé avant d’ouvrir cinq autres multimarques.


Majestic, la première enseigne avant le déploiement des autres entités - DR


FashionNetwork.com : Pouvez-vous nous présenter votre réseau de multimarques ?

Martial Ballejos : 
Majestic est le magasin historique. Il a compté deux entités qui ont été regroupées en 2014 avec une offre mixte pour une cible jeune, entre 18 et 28 ans, boulevard du Jeu de Paume. En quatre ans, quatre magasins ont vu le jour. Le magasin Hémisphère se divise en deux adresses, pour l’homme et pour la femme entre 25 et 45 ans, rue de la Loge et rue des Etuves. Granit, lui, est dédié à l'urbain proche de l'univers du skate, tandis que Manifest prend la forme d’un magasin lifestyle et premium, porté sur l’éthique et l’écoresponsabilité, avec des vêtements, des sneakers mais aussi des livres, accessoires, cosmétiques. Enfin, Palma Café Boutique, le petit dernier, également sur le boulevard du Jeu de Paume, est un espace avec une offre de prêt-à-porter féminin, dont Nice Things, Tinsels et Sœur, de la décoration et un café-salon de thé. Nos magasins font entre 140 mètres carrés et 180 mètres carrés.

FNW : Comment avez-vous opéré la segmentation de ces magasins ?

MB : Deux facettes sont à prendre en compte à la base de cette segmentation. La première et principale raison concerne l’identité même de Majestic et la volonté d’accentuer son ADN urbain. Dans un  espace qui, comme à ses débuts, regroupe les collections masculines et féminines, Majestic s’est inscrit dans la continuité de ce qu’il véhicule depuis plus de 20 ans en restant fidèle à ce qui a fait sa réputation. Soucieuse de conserver son état d’esprit fougueux, la boutique a vocation à s’imposer comme une sorte de laboratoire de la mode urbaine, lieu de convergence et de rencontre de marques à destination des nouvelles générations, avec une sélection jeune, avant-gardiste et créative : Noisy May, Rains, Obey, Truevision, Wemoto, etc. Le choix du boulevard du Jeu de Paume s’est imposé car c’est devenu la nouvelle artère dynamique du centre-ville de Montpellier.

La seconde facette de cette mutation réside dans la métamorphose de Majestic en trois boutiques différentes. Les marques présentes, de plus en plus hétéroclites, avaient besoin d’être mieux identifiées selon leurs inspirations, et nous avons décidé de segmenter notre sélection en leur donnant à chacune leur propre espace. Afin de mieux accompagner notre clientèle, il nous a paru nécessaire de scinder physiquement notre large panel de marques, et de créer deux boutiques avec des univers à part entière, en complément de Majestic : Hémisphère (Faguo, Mkt Studio, Minimum, Ichi) et Granit (Chinatown Market, Helas, Igorant People, North Hill).


Manifest, espace lifestyle et premium avec une orientation écoresponsable - DR


FNW : Vous donnez l’impression de faire évoluer constamment votre offre et vos magasins ?

MB : En effet, il faut réagir, s’adapter au marché et à ses changements. A la rentrée prochaine, 50% de l’offre de Manifest sera éthique, écoresponsable ou upcyclée. Début 2020, cela va passer à 80% de l’offre. Nous voulons vraiment pousser ces valeurs parce que ça nous correspond et que ça touche une partie grandissante de notre clientèle. Le magasin disposera bientôt d’un coin cuisine japonisant adossé à un mur qui proposera du café filtre, des infusions et des pâtisseries japonaises. Pour correspondre à cet ancrage écoresponsable, nous allons réduire notre offre de sneakers dans ce magasin tout simplement parce que les sneakers ne sont pas à la pointe dans ce domaine, à de rares exceptions.

Les sneakers qui ne rentrent pas dans ce cadre iront dans d’autres de nos magasins ; chez Granit, par exemple, qui va bientôt disposer d’une deuxième adresse. Nous avons ouvert un pop-up Granit qui passera ensuite par une phase de travaux pour ouvrir en décembre, de façon pérenne. Plusieurs de nos magasins ont été réaménagés pour agrandir la surface commerciale et réduire le stock. Nous avons, depuis la fin de l’année dernière, ouvert un pôle logistique de 100 mètres carrés dans le centre-ville près de nos magasins pour centraliser les produits et en stocker une partie afin d’alléger les magasins sachant que les produits peuvent être disponibles très vite s’il n’y a pas la taille ou la couleur en magasin. Chacun de nos magasins a son identité et leur communication est distincte. Ce sont des lieux à part entière.

FNW : Quel est votre chiffre d’affaires et son évolution sur un an ? Et quelle est la part des ventes de la femme et de l’homme ?

MB : Notre dernier chiffre d’affaires consolidé se situe aux alentours de 5 millions d’euros. Il est en légère baisse suite aux événements sociaux et à une météo de plus en plus capricieuse. Nous avons 35 salariés en équivalent temps plein à l’année. Quant à la répartition des ventes, elle se fait à 60 % sur la femme et 40 % sur l’homme. Cela reste stable depuis des années. Nous avons une offre par magasin qui couvre les besoins d’une clientèle âgée de 15 ans à plus de 60 ans. Et le panier moyen varie de 40 à 95 euros.

FNW : Quelle est votre position sur les soldes et la législation encadrant les promotions ?

MB : La législation sur les soldes nécessite d’être totalement révisée tant sur les périodes, que sur leur durée. Les promotions devraient être encadrées par des règles plus claires, voire plus strictes, pour le client comme pour le détaillant. 


Le pop up actuel Granit 29, le deuxième Granit en devenir - DR


FNW : Comment faites-vous évoluer la sélection de marques ? Quelle est la part de marques reconduites et de marques nouvelles ?

MB : Notre bouquet de marques évolue par le croisement d’informations et l’animation d’un cercle vertueux : de l’analyse des ventes réalisées chaque semaine aux réunions hebdomadaires avec nos responsables. Une organisation mise en place depuis seulement deux mois. Nous écoutons aussi nos clients et clientes via les réseaux sociaux. Si l’arbitrage est parfois délicat, nous attachons de l'importance aux remontées de la clientèle. Ensuite, nous aimons bien avoir notre équilibre : 80 % de marques stabilisent le cœur de notre offre et 20 % de marques nouvelles apportent de la fraîcheur. Au total, nous travaillons avec plus de 150 marques.

FNW : Comment dénichez-vous de nouvelles marques ?

MB : En lisant votre newsletter quotidiennement. En fait, nous sommes des hyper-connectés partout dans le monde. L’information, c’est le pouvoir ! Nous avons de nombreuses connexions auprès de tous types de professionnels : agents, distributeurs, marques, showrooms, pop-up, salons, défilés, maisons des modes, fédérations ... sans oublier les réseaux sociaux.

FNW : De plus en plus de marques proposent des shops-in shop ou corners clés en main aux multimarques, est-ce quelque chose que vous développez ?

MB : Nous sommes attirés par les partenariats tout en préservant l’ADN de nos boutiques. Nous aimons organiser des évènements plutôt que de mettre en place des corners. C’est plus dynamique et ça répond à la demande de nos clientèles dans chacun des magasins. Nous tenons à conserver l’identité de nos magasins et nous ne voulons pas qu’il y ait du mobilier de marques qui ne nous corresponde pas. Nous avons un partenariat privilégié avec le label Carhartt, par exemple, chez Granit, mais nous lui avons dédié un espace dans le magasin en conservant nos codes propres.


Le café-salon de thé de Palma - DR


FNW : Le marché des sneakers reste-t-il toujours aussi dynamique ?

MB : Sur les sneakers, quand il y a eu l’euphorie du marché, l’offre était très voire trop pléthorique dans tous les types de points de vente. Puis, les marques ont commencé à segmenter. A la suite de cela, nous avons négocié avec les marques des exclusivités sur des modèles qui ne sont vendus que chez nous à Montpellier. Ils ne sont parfois diffusés que dans dix magasins en France. Cela fait partie de notre valeur ajoutée même si nous avons perdu des volumes de vente. Les sneakers peuvent encore représenter 30 % des ventes dans certains de nos magasins, le panier moyen sur ce produit étant élevé, entre 90 euros et 100 euros.

FNW : Vous évoquez l’urbain, les sneakers, une offre différenciante, mais on a l’impression que le jeans a disparu des radars ?

MB : En effet, les jeans Cheap Monday se vendaient bien mais la marque s’est arrêtée. Nous proposons un peu de Levi’s mais à part Levi’s, le jeans n’est plus très présent. Levi’s touche toutes les cibles : en fripe comme neuf, en magasin. Même chez Carhartt, les jeans et les pantalons ont vu leurs ventes baisser. Ce qui change, c’est que les clients vont les acheter dans les chaînes qui ont, en plus, globalement amélioré leur offre. Les jeunes clients envisagent les chaînes au même titre que les marques. Sinon, pour revenir aux produits, les ventes sont beaucoup plus disparates qu'avant. Il n'y a plus vraiment de familles de produits qui se distinguent nettement dans les meilleures ventes, mis à part les sneakers et les tee-shirts.

FNW : Quels sont les critères pour recruter de bons vendeurs et de bons responsables de magasin ? 

MB : D’abord avoir de quoi les séduire ! Il est important de bien matcher l’univers de la boutique au profil du vendeur ou du responsable. Le moindre faux pas à ce stade met en péril l’aventure. Ensuite, il faut bien définir les rôles de chacun pour laisser la prise d’initiative faire la différence. Quel que soit le profil que nous recrutons, nous avons besoin de personnes motivées, dynamiques, innovantes, socialement digitalisées et un poil artiste ! 


Façade du magasin Granit - DR


FNW : Comment vivez-vous la poussée du digital ? 

MB : Comme une réelle opportunité de repenser et redéfinir la relation client, développer l’omnicanal, le "phygital" et de révolutionner les modèles économiques par une nouvelle relation "vendeur - client" ! Nous réfléchissons sur un mode de commercialisation innovant qui est encore à l’étude. Cela ouvre aussi de superbes chemins à l’international tout en restant physiquement à Montpellier. 

FNW : Comment vous y êtes-vous adapté ?

MB : En nous entourant d’experts dans chacun des domaines. Le monde ne laisse plus la place à l’amateurisme. Nous n’avons pas d’autre choix que d’avancer. Stagnez c’est reculer. L’e-shop de Majestic avait été lancé en 2011. Les autres sites ont vu le jour depuis 2014. Ils ont tous été repensés et mis à jour récemment avec la volonté de « faire moins mais mieux ». Nous restreignons l’offre de produits mais nous la mettons mieux en valeur avec un travail de stylisme, avec des photos de qualité, des fiches produits détaillées. C’est encore en rodage mais nous voulons faire vivre les sites au maximum. Le digital a pu représenter jusqu’à 25 % de nos ventes, mais c’est descendu à 15 % en moyenne. C’est un métier à part entière qui s’apprend et qui évolue en permanence. Ça nous permet de toucher une clientèle internationale mais c’est également très lié aux promotions : environ 50 % des ventes en ligne affichent un prix réduit. Nous sommes en train de mettre en place des nouveautés pour nous distinguer encore davantage et pousser le e-commerce.

FNW : Comment se comporte le consommateur aujourd’hui ? A-t-il beaucoup changé ?

MB : Le client comme la cliente ont beaucoup changé. C’est simple : il ou elle ne demande plus rien. Si nous avons le produit qu’il cherche, tant mieux, sinon, il ou elle s’en va pensant le trouver ailleurs en passant par internet. Ce qui, selon moi, est un leurre, au moins en partie. Néanmoins, dans un magasin comme Manifest, les clients regardent de plus en plus les matières, puis le pays de fabrication et, enfin, comment c’est fait.


La vitrine de Manifest - DR


FNW : Que faites-vous pour alimenter et créer du trafic en magasin ?

MB : Nous organisons des évènements comme le lancement de la collab' Kulte avec Citroën chez Majestic ou un pop-up Lou Yetu chez Palma. Chez Manifest, il y a un espace coiffeur-barbier depuis le 15 juillet pour deux mois. Je l’avais déjà vu ailleurs mais le coiffeur en question est venu vers nous et je me suis dit "pourquoi pas" ? D’ailleurs, si ça marche, pourquoi pas prolonger ce service ? Chez Palma, nous avons commencé à proposer des stages de pilates et de yoga au premier étage pour l’été. A la rentrée, ces cours seront plus réguliers.

Palma plaît beaucoup aux mamans qui viennent y passer du temps avec ou sans leurs enfants. Le magasin est d'ailleurs de plus en plus tourné vers cette cible. Par ailleurs, nous avons organisé des ateliers de création de cosmétiques, de tricot, de couture, de coaching personnel. En moyenne, chaque magasin propose un à deux événements par saison mais à partir de la rentrée, je souhaite que cela passe à un rythme mensuel. Une personne s’occupera de l'événementiel à mi-temps, en freelance. Nous faisons aussi évoluer sans cesse la décoration. Le merchandising comme les vitrines changent toutes les semaines, maximum tous les dix jours, en tenant compte des tendances et de la météo.

FNW : Les recettes miracles n’existant pas, encore moins dans le retail, quels sont les éléments indispensables au bon fonctionnement d’un magasin multimarque aujourd'hui ?

MB : Le trousseau est inconditionnellement le même depuis la nuit des temps. Il faut être à l’écoute et en veille permanente sur le marché, s’adapter aux nouveaux mondes ouverts via les réseaux sociaux, être agile pour s’adapter très rapidement, disposer d’outils de Business Intelligence mettant en évidence des indicateurs aujourd’hui indispensables pour maîtriser nos commerces et les développer, être lucide et bien entouré... Tout cela n’a de sens que si la vision est partagée avec l’ensemble des équipes ! C’est la seule clé qui nous a toujours permis de dépasser nos objectifs.

FNW : Contrairement à l’opinion de certains, si on vous écoute, les multimarques ne sont pas morts ?

MB : Gérer des multimarques s’apparente à un challenge aujourd’hui, bien plus qu’avant. Nous sommes un peu des fous lucides… De leur côté, ceux qui optent pour la franchise et renoncent aux multimarques, je peux les comprendre. Ils n’ont plus envie de se prendre la tête et préfèrent des modèles prédéfinis. C’est une stratégie. Ce n’est pas la mienne. J’aime ce métier. D’ailleurs, il faut le faire avec passion sinon, ça ne peut pas marcher. J’ai envie de continuer à avancer et à faire bouger les choses. L'année prochaine, nous allons commencer à vendre nos propres labels. En fait, nos magasins finissent par devenir des marques avec une identité visuelle, et même globale, forte et reconnaissable.
 
 

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