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Mathieu Grodner (Simone Pérèle) : "Nous avons enregistré deux à trois fois plus de commandes e-commerce"

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6 mai 2020

A la tête de la marque de lingerie familiale depuis 2015 et représentant de la troisième génération, Mathieu Grodner a dû adapter le fonctionnement de Simone Pérèle entre l'arrêt des commerces physiques et le fait de trouver des relais digitaux. Le dirigeant a aussi revu l'organisation de son activité industrielle. Pour FashionNetwork.com, il détaille ces changements sous confinement.


Mathieu Grodner - Simone Pérele



FashionNetwork.com : Après des semaines de confinement, votre entreprise a-t-elle encore de l'activité?

Mathieu Grodner :
C'est une période inédite. Et comme tous les groupes, nous nous sommes adaptés à ce choc. Nous avons fait face à la fermeture des commerces, nos soixante points de vente mais aussi les grands magasins et les multimarques. Ensuite nous fonctionnons en mode dégradé, en conservant une activité partielle dans tous les services. Cela est fait de manière mesurée pour garder une capacité de rebond. Nous voulons être prêts quand cela redémarrera.

FNW : Mais vous avez encore une activité commerciale ?

MG :
Nous continuons l'activité e-commerce sur toutes les régions que nous gérons en direct et où c'est possible comme en Australie, en Amérique du Nord et bien sûr en France. Nous avons réorganisé notre centre logistique d'Orléans pour qu'il soit opérationnel en répondant aux gestes barrières et qu'il réponde à la réalité des volumes. Et nous constatons que le rythme s'est réellement accéléré sur le net avec des visites et des commandes deux à trois fois plus importantes. La tendance allait vers une accélération des canaux digitaux, mais avec la crise actuelle c'est exponentiel. Si vous regardez ce qu'il se passe, les gros acteurs de l'e-commerce ont actuellement une activité équivalente à la période de Noël.

FNW : Mais qui sont ces clients?

MG :
Nous avons trois profils. Nous avons nos clientes enregistrées dans nos bases de données, notre clientèle fidèle sur le digital. Nous avons des permanents chez Simone Pérèle et la cliente connaît ses produits clés qu'elle peut commander en plusieurs couleurs et se constituer sa garde-robe lingerie. Nous avons de nouveaux clients du net qui étaient déjà clients en physique et qu'on ne connaissait pas et cela permet de les rattacher à notre base clients. Enfin nous avons les nouveaux clients réels qui achètent la marque pour la première fois. Pour cela les ventes organisées avec ShowroomPrivé et VentePrivée apportent des revenus et de la visibilité.


Simone Pérele



FNW : C'est à dire ? Vous n'étiez pas déjà présents sur ces plateformes?

MG :
Nous travaillons depuis plusieurs années avec eux, mais nous imaginons de nouveaux modèles qui nous permettent d'avoir de meilleures conditions et de proposer aux clients un choix plus large dans nos collections passées. Avec le dropshipping on livre la cliente finale, on peut mettre ce stock à disposition à l'issue de la vente. Nous avions déjà commencé, mais nous avons pu réaliser ces ventes pendant la période avec une belle réussite commerciale et en notoriété. Après nous n'en abuserons pas car ce qui fait le succès de ces opérations reste leur rareté.

FNW : Via le digital, comment gardez-vous le contact avec les clientes?

MG :
En ce qui concerne l'e-commerce, nous avons déjà modifié les process de livraisons, il a fallu récupérer les colis qui avaient eu des problèmes d'acheminement et communiquer cela. Le contexte oblige à se réinventer, à faire aussi bien avec moins. Après nous avions un lancement de notre ligne sport en avril, avec Lucile Woodward, et nous avons eu d'excellents retours de la communauté. Nous avons choisi cette période pour réaliser des prises de parole, sur Facebook, Instagram... Mais aussi pour raconter l'histoire de Simone Pérèle.


Simone Pérèle a lancé sa ligne sport en avril avec Lucile Woodward - Simone Pérele



FNW : Vos équipes de production ne sont pas non plus à l'arrêt.

MG :
Nos ateliers et unités de production ne sont pas fermés. Nous leur faisons fabriquer des masques sur la base de prototypes validés par l'Afnor. Nous en fabriquons pour nos équipes dans le monde et pour les collectivités et les entreprises locales autour des ateliers. C'est le cas à Orléans, mais aussi dans nos usines en Tunisie et à Madagascar. C'est aussi se rendre utile pour les communautés.

FNW : Et ce contexte modifie-t-il votre calendrier de production?

MG :
Toutes les entreprises sont concernées par l'impact du confinement sur leurs stocks. Pour nous, la part de permanents est majoritaire dans le chiffre d'affaires, et c'est un amortisseur appréciable. La ligne été va durer un plus longtemps, les soldes devraient être un peu plus tard. Avec nos fournisseurs, nous travaillons depuis longtemps. Nous avons des liens étroits avec eux. Bien sûr cela dépendra aussi de la santé de ces fournisseurs. Mais lorsque la machine se réenclenchera on devra être capable de construire nos approvisionnements. Après, comme nous avons produit des masques pour nos équipes, nous travaillons sur une seconde étape.

FNW : Une autre étape dans la production de masques?

MG :
Oui. Nous pouvons avoir un ou deux modèles qui s'intègrent dans notre catalogue répondant à notre tradition et notre savoir-faire. Après le confinement, si le masque s'installe dans le quotidien des gens dans certains pays comme un accessoire, Simone Pérèle aurait toute sa place à proposer des modèles élégants qui répondent aux normes sanitaires.

FNW : D'ailleurs comment envisagez-vous l'après-confinement?

MG :
On envisage plusieurs scénarios, mais c'est un peu la boule de cristal à moyen terme mais on s'attend à trois à six mois difficiles. La question sera celle du trafic en magasin. Déjà pour la reprise, nous allons faire un benchmark des situations en Allemagne, en Belgique et en Italie. On attend les précisions sur les contraintes sanitaires. Mais il est essentiel de se préparer en amont. Nous travaillons avec les équipes pour revoir les rituels de vente et l'accueil en magasin.

FNW : Pour l'habillement c'est une grande question. Mais pour la lingerie peut-être encore plus. Comment accompagner l'essayage des produits ?

MG :
C'est un challenge pour notre métier. Le conseil est essentiel car c'est un produit technique. Cela veut dire port des masques, des gants et respect des distances sanitaires. Mais combien de clientes iront en cabine pour essayer? Cela nous le saurons dans les premiers jours. Après nous sommes sur un positionnement premium et nous pouvons gérer un service de qualité, accueillir une cliente à la fois. Ensuite, il faut imaginer de nouveaux outils, peut-être avec moins de contact direct et l'utilisation d'écrans. Le digital pourrait accompagner ce que l'on ne pourra plus faire en direct.

FNW : Face à cette incertitude, allez-vous rouvrir l'ensemble du réseau?

MG :
Il faut être pragmatique. La tentation est bien sûr de rouvrir tous les points de vente le plus vite possible. Mais, comment cela va-t-il se passer dans les grands magasins? Quelles vont être les contraintes? Il faut se laisser le temps d'adopter progressivement les bonnes pratiques. On va devoir s'ajuster.

FNW : Sur le plus long terme, pensez-vous que les consommateurs et les marques vont changer leurs comportements avec cette crise?

MG :
C'est possible. La crise actuelle pourrait faire évoluer la perception qu'ont les consommateurs. Il pourrait y avoir une accélération des attentes environnementales et sociétales. J'ai le sentiment que pour beaucoup, cette situation est née d'un enchaînement d'errements et sert de révélateur de l'organisation de l'économie mondialisée. Il y a un sentiment d'effacement des frontières et de perte de repère sur l'origine des produits. Cela peut avoir pour effet un retour à une économie plus locale.

FNW : Mais avec une crise économique, les consommateurs seront-ils prêts à payer plus cher pour un ensemble de lingerie ou une chemise si elle est produite en France?

MG :
Je fais actuellement évoluer ma réflexion sur ce point. La production de produits, avec les coûts qu'induisait le made in France, me semblait jusque-là complexe pour les acteurs autres que le luxe. Mais je pense que s'il y a un travail en commun de l'ensemble de notre filière, que les fournisseurs, les fabricants, les marques, tous s'engagent cela pourrait devenir possible. Sur notre segment haut de gamme ou premium nous pourrions ainsi justifier une valeur ajoutée plus importante, répondant à une attente d'approvisionnement et de production plus locale. Ce n'est bien sûr pas possible pour tous les segments de prix et toutes les productions.

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