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Pierre-Arnaud Grenade (Ba&sh) : "Les marques digital natives qui arrivent redéfinissent les règles"

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17 mai 2018

Si Ba&Sh se définit comme une marque de luxe accessible, Pierre-Arnaud Grenade, PDG de la griffe, a à cœur d’expliquer que cela signifie cumuler le meilleur du retail, le meilleur du luxe et le meilleur du digital. Côté retail, Ba&sh multiplie les ouvertures de magasins, mais travaille également sur des modes de distribution plus exclusif en France comme à l'étranger, avec notamment des opérations de retail éphémère dans des lieux prestigieux. La griffe développe également de manière grandissante le canal e-commerce. Explications avec Pierre-Arnaud Grenade, arrivé à la tête de l’entreprise fondée par Barbara Boccara et Sharon Krief en 2015.


Pierre-Arnaud Grenade, PDG de Ba&Sh - DR


FashionNetwork.com : Vous avez ouvert une boutique éphémère au Royal Monceau en janvier dernier. Pourquoi avoir fait ce choix ?

Pierre-Arnaud Grenade : Pour nous, c’est important d’être dans des lieux de vie très chic. Nous faisons pas mal de retail éphémère, comme le pop-up store au Printemps Haussmann en mars dernier, où nous avons été la première marque de luxe accessible à avoir occupé l’atrium. Nous venons de réaliser une opération similaire en  Allemagne, dans un grand magasin haut de gamme nommé Breuninger. Notre intérêt, c’est de créer l’événement et évidemment de rencontrer une clientèle mondiale, surtout qu’aujourd’hui, 45% de notre parc est à l’international et nous réalisons 35% de notre chiffre d’affaires à l’export. Alors, c’est important d’être dans des lieux de vie qui sont symboliques de luxe parisien, mais aussi dans des lieux prestigieux en dehors des frontières hexagonales.

FNW : Comment le marché réagit au développement de Ba&sh à l’international ?

PAG :
Aujourd’hui, dans le monde, le luxe accessible représente 8% de part de marché de l’habillement mondial et devrait croître à une moyenne de 6% par an dans les prochaines années. C’est le segment de marché le plus dynamique du secteur de l’habillement. En fait, il se trouve à la jonction de deux types de consommateurs. D’un côté, la clientèle du luxe est à la recherche d’achats plus accessibles et plus légers. A l’inverse, la clientèle du mass market, qui veut des produits exceptionnels et un univers boutique plus chaleureux, souhaite s’identifier à un univers de marque présent. Nous nous adressons à ce que l’on appelle la "upper middle class", qui est en pleine croissance démographique dans le monde entier. Des places de marché traditionnellement très focalisées luxe (Hong Kong, Dubaï, la Chine) s’ouvrent à ce segment parce qu’elles ont compris qu’il existe une réelle demande des consommateurs.

FNW : Quelle est votre analyse de ce marché féminin du luxe accessible et de son évolution ?

PAG : 
C’est un marché où il va falloir être plus authentique. Le niveau de prix qui y est pratiqué donne l’opportunité de créer des marques avec un vrai style, un ADN et un univers. Ce marché va aussi se structurer. Dans le luxe, il existe de nombreux groupes, dans le mass market aussi, il n’y a aucune raison qu’il n’en existe pas sur ce segment, composé pour l’instant d’un ensemble de petites entreprises. SMCP est un premier exemple, mais il y en aura d’autres parce qu’à un moment, il y aura besoin de consolider toutes ces petites marques et des investisseurs seront intéressés par ces différentes griffes qui adressent différents marchés.
 
FNW : Est-ce que Ba&sh y pense ?

P-AG :
En tant que projet, nous n’avons pas envisagé de racheter des marques ou de créer un groupe avec d’autres marques. Ce n’est pas exclu, mais rien n’est prévu dans l’immédiat.
 
FNW : Quelle est aujourd'hui la part du digital dans votre chiffre d’affaires ?

PAG :
 Aujourd’hui, nos ventes se découpent comme ceci : les clients multimarques représentent 10 % de notre activité globale, tandis que nos boutiques et nos concessions en grands magasins réalisent 80 % du chiffre d’affaires. Le digital représente quant à lui la part restante, qui s’élève donc à 10 %.
 
FNW : Comment abordez-vous le digital chez Ba&sh ?

PAG : 
Ce segment de marché existe depuis longtemps et est historiquement détenu par des distributeurs. Il y a des nouvelles marques digital natives, "direct to consumer", qui arrivent et redéfinissent les règles, révolutionnent la façon de mettre en scène et proposent un univers plus lifestyle. Les introductions de produits sont faites de façon événementielle et ces labels s’adressent aux consommateurs différemment, via les réseaux sociaux notamment. Nous tenons compte de cette nouvelle approche, à tel point que nous nous sentons davantage en concurrence avec des griffes comme Reformation, Everlane ou Glossier qu’avec nos compétiteurs du marché du luxe accessible. Chez Ba&sh aujourd’hui, notre business model c’est le meilleur du luxe, du retail et du digital.

FNW : Comment est-ce que vous vous y attelez concrètement ?

PAG : 
Nous avons monté une équipe "direct to consumer" à New York (où la marque a également ouvert ses premières boutiques, ndlr), effective depuis début 2018. Nous avons choisi de l’installer dans cette ville américaine parce que nous voulions qu’elle soit proche géographiquement des marques citées précédemment pour bien nous imprégner de leurs meilleures pratiques. L’idée, via cette équipe, c’est de réinventer la relation avec le consommateur. Parce que, si tout le monde prévoit l’apocalypse du retail, je ne pense pas qu’il disparaisse réellement. Il va plutôt se transformer, avec notamment de nouvelles façons de s’adresser au consommateur. Aujourd’hui, le sujet n’est plus seulement de savoir "Qu’est-ce que l’on dit ?", mais surtout "Qui le dit ?", comme le prouve le rôle des influenceuses.


Le pop-up store Ba&Sh chez Breuninger - Ba&Sh


FNW : Sur quoi travaille cette équipe "direct to consumer" ?

PAG : Elle aborde trois sujets pour réinventer la relation avec les consommateurs : le digital marketing, le CRM et le marketing d’influence. Désormais, nous voulons nous adresser à une nouvelle génération de clientes, celle des Millennials, qui connaît davantage la marque grâce aux réseaux sociaux que grâce aux magazines. C’est pourquoi nous avons pour ambition de développer nos communautés sur Instagram, Facebook ou encore WeChat et Weibo en Chine, avec la mise en place d’une stratégie de contenus et de conquête de fans.

Notre marketing d’influence s’envisage aussi offline puisque nous avons à cœur d’habiller des femmes qui ont de l’influence dans la vie de tous les jours, parce qu’elles sont des femmes de pouvoir ou disposent d’un charisme particulier. Nous revendiquons une espèce de liberté, une sorte de prise de pouvoir de la femme sur la mode. Nous voulons donc choisir de jeunes startuppeuses par exemple, parce qu’elles s’inscrivent dans le projet d’entrepreneuriat au féminin qui tient à cœur à Barbara Boccara et Sharon Krief.

Notre politique en digital marketing se veut, elle, plus internationale avec des guidelines SEO et SEM valables dans tous les pays, puisque nous disposons de huit sites marchands différents pour adresser les différents marchés où nous sommes présents physiquement.
 
FNW : Et le CRM ?

PAG : C’est le dernier volet de notre stratégie digitale, développé autour d’un logiciel d’intelligence artificielle nommé Ometria. Celui-ci va nous permettre de nous adresser de manière plus personnalisée aux clientes, aussi bien dans la communication en boutique que par e-mail, afin de mieux les connaître, leur parler de leurs goûts, de ce qui les intéresse, entretenir une relation plus personnalisée avec elles. Pour être capable d’alimenter nos réseaux sociaux, les outils CRM et les influenceuses, nous avons mis en place une fabrique de contenus basée à Paris, qui produit tous les assets de la marque (images, vidéos, etc.).

En fait, ce qu’il faut retenir, c’est que digitaliser l’entreprise, ce n’est pas seulement vendre ses produits sur Internet. C’est aussi changer la relation avec le consommateur pour la rendre plus personnelle, plus humaine, plus intéressante. Le digital est un moyen de le faire in fine.

FNW : Quels objectifs souhaitez-vous atteindre avec cette politique de digitalisation ?  

PAG : La mise en place de cette politique digitale nous a permis de passer de 2 % du chiffre d’affaires réalisé sur ce canal à plus de 10 % en 2017. Nous estimons pouvoir doubler ce résultat d’ici deux ans. Mais quoiqu’il arrive, nous resterons une marque de retail qui s’exprime physiquement en magasin très différemment des autres marques de luxe accessibles, grâce à des lieux chaleureux, où l’ambiance « comme à la maison » prévaut, afin que la cliente s’y sente toujours bien et que la relation avec cette dernière soit émotionnelle et pas seulement financière. Donc, malgré l’importance que prend le digital, le retail restera sûrement le canal de distribution le plus important pour nous. D’ailleurs, la plupart des marques qui ont débuté en étant 100 % digitales ont fini par ouvrir des points de vente parce que c’est essentiel de pouvoir donner rendez-vous dans un lieu aux consommateurs.

FNW : Vous êtes un annonceur historique de la presse féminine. Comment envisagez-vous la communication classique alors que vous accentuez votre politique digitale via les réseaux sociaux notamment ?

PAG : Nous restons un partenaire important pour les magazines, même si nous avons basculé une partie de l’investissement vers les médias digitaux. Nous avons changé notre méthode de production d’images parce que nous sentons que les consommatrices veulent une communication différente, avec des histoires régulières. Nous restons des partenaires fidèles des médias traditionnels parce qu’une partie de notre clientèle y reste fidèle et conserve ce rapport à l’information différent, plus en profondeur. Mais il y a une concurrence indéniable des médias digitaux, qui disposent d’avantages certains comme l’immédiateté, la régularité et leur caractère très visuel. Il faut que Ba&sh reste très agile, entrepreneur. Pour ce faire, nous nous sommes fixé quelques règles : savoir être authentique, fidèle à la volonté de départ, raconter de vraies histoires, nous sommes l’anti fake. Il faut aussi être aspirationnel, pour le client comme pour les équipes, et parler autant de la marque que de son lifestyle.

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