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Taxes affectées : vers une ponction plus forte de l'Etat sur le budget des CTI

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20 déc. 2018

Quatre Centres Techniques Industriels de la filière mode et luxe (Défi, CTC, Codifab et Comité Francéclat) sont aux aguets. Ils regardent de près les échanges parlementaires autour du projet de loi de finances 2019 (PLF). En plus d’un plafonnement des dépenses, les députés de la majorité souhaitent confier à Bercy la liberté de faire varier le taux de taxation, échappant ainsi à tout débat parlementaire. Et cela malgré les demandes contraires de plusieurs fédérations, soutenues par quelques députés LREM.


Bruno Le Maire, à l’Assemblée nationale ce 12 décembre 2018 - AFP


C’est l’article 29 Quater du projet de loi de finance qui fixe ce dispositif de fourchette contrôlé par Bercy. « Le mécanisme de révision des taux par voie réglementaire introduit une flexibilité supplémentaire qui permettra de tenir compte d'éventuelles baisses de plafond à venir et du dynamisme de l'activité de chacune des filières industrielles concernées », détaille le rapporteur

Via 0,07 % de taxes sur les chiffres d’affaires et importations de la filière, le Défi collecte chaque année environ 10 millions d’euros, soit son maximum plafonné jusque-là. Le PLF 2019 fixera désormais un plafond à 9,381 millions d’euros, récupérant l’excédent.

Mais, en plus, Bercy pourra, en cas d’application du texte, faire descendre la taxation à 0,05 %, grevant de près de 30 % le budget initial. Consultées par la Direction Générale des Entreprises, les fédérations pilotant le Défi ont proposé un taux qui placerait les revenus juste au-dessus du plafond, en prévision d’une baisse des prélèvements liée aux difficultés actuelles du marché de l’habillement.

« On est dans la situation où nous devons faire face à cette baisse de plafond et à cette baisse de taux, qui sera fixée par le ministre de l’Economie », nous explique Clarisse Reille, directrice du Défi. « Nous ne savons pas si le taux proposé par nos fédérations, qui est un geste de bonne volonté vis-à-vis du gouvernement, va être accepté. Or, nos budgets sont déjà calculés pour l’avenir en fonction du plafond précédemment annoncé. Nous espérons donc que l’introduction de ce taux ne causera pas des recettes inférieures. »


Via les fourchettes de taux fixées par Bercy, Défi, CTC, Codifab et Comité Francéclat pourraient voir leurs revenus chuter de 20 à 30 %, selon les cas - Assemblee-Nationale.fr


Le Centre Technique du Cuir (CTC) prélève pour sa part près de 17 millions d’euros de taxes affectées, via une taxe à 0,18 %. Son plafond va être ramené de 13 250 à 12 430 euros. Pour éviter la « fourchette » de Bercy, le Conseil National du Cuir nous explique avoir proposé une hausse de son plafond en échange d’un taux de taxation abaissé à 0,16 % et inscrit dans la loi. « Nous n’avons pas été entendus et c’est la double peine », déplore Frank Boelhy, président du Conseil National du Cuir. Bercy a en effet décidé de maintenir le principe de la fourchette, qui pour le cuir ira de de 0,14 % à 0,18 %. « Voilà un outil qui fonctionne, qui satisfait tous les industriels, et soudain l’Etat veut régenter un secteur qui fonctionne bien », résume Frank Boehly.

Tuer les taxes affectées ?

Derrière ce débat parlementaire se cacherait la volonté du gouvernement d’en finir avec les taxes affectées. De nouveaux abaissements de plafond seraient d’ores et déjà prévus pour les deux ans à venir. On souffle, du côté des parlementaires, que l’objectif de l’exécutif est de réduire les fonds des filières à tel point qu’elles renonceront aux taxes affectées, au profit des contribution volontaire obligatoire (CVO). Ce que tendent à confirmer les textes du rapporteur, pour qui la modification du plafonnement « ne doit pas exonérer d'une réflexion plus poussée sur l'opportunité d'un financement par une taxe affectée (…). Le passage à un mode de financement par contribution volontaire obligatoire (CVO) semble plus adapté, dès lors qu'il s'agit de financer des actions spécifiques à une filière professionnelle ».

Or, la CVO poserait un problème majeur : elle ne s’appliquerait plus obligatoirement aux importations. Or, pour le Défi comme pour le CTC, ce sont d’un coup 40 % de leur budget qui disparaîtraient. « Une CVO implique que ce prélèvement ne serait plus dans la loi », explique Frank Boehly. « Donc certains refuseront de la payer, il faudra en passer par les tribunaux et de lourds frais d’avocat, qui feront passer de 40 à 50 % les trous dans le budget. Surtout, cela créerait une ambiance délétère au sein même des filières. De plus, la CVO implique que les entreprises qui contribuent le plus seront celles qui doivent le plus en profiter. Là où, aujourd’hui, ce sont surtout les gros qui payent pour que les petits se développent. Or, ceux qui veulent ça, ce sont des gouvernants incohérents qui veulent relancer l’industrie », affirme le président du Conseil National du Cuir.

« On n’est pas écouté »

Différentes figures de la filière, contactées, étonnent surtout par le récit des échanges avec l’administration et les élus. Beaucoup gardent en mémoire le désintérêt du porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, interpellé en octobre sur la question. Ce dernier avait assimilé les taxes affectées à des fonds publics et lâchait que les grands groupes pouvaient davantage financer la filière. Or, ces groupes représentent déjà 40 % des taxes prélevées.


Les 10 CTI et CPDE (Comités Professionnels de Développement Économique) représentent 150 millions d'euros de taxes, mises en place par les filières elles-mêmes, pour leur fonctionnement (hormis l'écrêtement instauré par Bercy depuis 2011) - Assemblee-Nationale.fr


Mardi 18 décembre, la députée LREM Amélie de Montchalin ne cachait plus de son côté son agacement face aux discours de la filière. Alors que l’Etat veut que les taxes affectées profitent davantage à ses caisses, l’élue s’attaque à la pertinence de celles-ci. « Les CTI prélèvent un impôt destiné à un travail collectif (…), a-t-elle indiqué. Mais pourquoi bigre passer par l’impôt pour cela ? Que les PME et les entreprises définissent ensemble des stratégies partagées de visibilité et de rayonnement, mais que l’État n’intervienne pas ! »

Des arguments prompts à faire grincer des dents la filière. « Les taxes affectées visées représentent 150 millions d’euros, sur 1 040 milliards d'euros de prélèvements obligatoires », nous explique un dirigeant de fédération, résumant un discours largement partagé par différents interlocuteurs. « Si la majorité voulait vraiment alléger la fiscalité des entreprises, pourquoi ne pas s’attaquer aux 85 milliards de taxes de production ? Les montants visés sont dérisoires pour l’Etat, mais pèsent lourds pour les CTI ». Pour la plupart des fédérations, la leçon est en tout cas désormais retenue : malgré ses 150 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit plus que l’automobile ou l’aéronautique, la mode n'est pas entendue par le gouvernement et les parlementaires.

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