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23 juil. 2020
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Travel retail : la "victime la plus sanglante" de la crise actuelle

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23 juil. 2020

La pandémie du Covid-19 est en train de remettre en question bon nombre de certitudes, notamment concernant les secteurs de la mode et du luxe. A l’instar du segment de la mode haut de gamme, qui s’interroge sur ses rythmes et sa raison d’être, ou du travel retail, profondément touché par la crise. Dans le troisième volet de son enquête "Luxury convalescence : fast-forwarding" (Le luxe en convalescence: comment aller de l'avant?), le cabinet de conseil MAD, fondé et piloté par Delphine Vitry et Jean Révis, dresse un bilan et tente de proposer des pistes de relance pour le marché du prêt-à-porter et des accessoires d'une part, et pour le canal du travel retail d'autre part.


Après son show de février, Saint Laurent a décidé cette année de sortir des Fashion Weeks - © PixelFormula

 
Le confinement dû à la pandémie a eu pour conséquence de brouiller les pistes en créant des situations exceptionnelles mettant à rude épreuve les maisons. Les calendriers et rythmes frénétiques de la mode ont fortement été remis en cause, notamment ces dernières semaines. "Le sentiment général est que les marques de mode vont aller vers un rythme plus lent. Bien que le concept soit séduisant, il est probablement trop tôt pour s’en convaincre", estiment les auteurs du rapport.
 
"Tout dépend du profil de l’entreprise, de sa structure et de la part du prêt-à-porter dans son chiffre d’affaires. Pour les uns ou les autres, un changement de rythme n’aura pas le même impact", note Jean Révis. Les plus grandes maisons, dont l’activité s’appuie davantage sur le luxe que la mode, sont moins dépendantes de la tyrannie des calendriers de la mode. En revanche, les marques ancrées dans le prêt-à-porter telles que Balmain, Lanvin ou encore Dries van Noten auront plus de mal à faire l’impasse sur une saison. "Comme toutes les entreprises, les marques de mode ont un business model à faire vivre, des fournisseurs à soutenir, un niveau de trésorerie à assurer", souligne l’étude.

"Renforcement du poids des pièces iconiques et des références intemporelles dans les structures des collections"



Du point de vue de l’offre, les analystes de MAD tablent sur "un renforcement du poids des pièces iconiques et des références intemporelles dans les structures des collections". Même chose pour les accessoires, avec la domination du poids des it-bags, ce qui devrait rendre la situation plus complexe pour les marques qui n’en ont pas encore. Mais ils font remarquer d'un autre côté que la mode ne peut perdre sa raison d’être. Elle continuera à proposer des nouveautés et à être créative, en captant l’air du temps.

Au final, ce sont les marques positionnées sur le luxe accessible qui risquent d’être les plus pénalisées. Comme l’observent les auteurs de l’étude, "dans cette tension entre besoin de valeurs sûres et de shoots créatifs, le chemin risque d’être complexe lorsque l’on n’a ni codes ni icônes d’une part, ni directeur artistique emblématique d’autre part".
 
Pour affronter ce marché mouvant et incertain, les maisons vont devoir "explorer toutes les pistes d’optimisation". Avec le climat de croissance forte de ces dernières années, la machine roulait toute seule en quelque sorte. Mais le moment est venu de s’assurer que "les fondamentaux sont là". "Dans un contexte tendu, l’élimination des pain points (points douloureux, ndlr) dans les parcours clients est le premier objectif, que ce soit en Chine avec un fort trafic, pour fluidifier le parcours et traiter le maximum de clients, ou en Europe avec un trafic réduit, pour maximiser le taux de conversion des rares visiteurs", souligne l’enquête.

Vers une restructuration des réseaux de vente



Une grande attention doit aussi être portée à la boutique, en s’assurant que son espace donne à chaque catégorie sa juste place, en fonction de sa contribution au business, mais à l’expérience aussi. Pour cela, il convient de bien définir à quel moment du parcours et avec quelle intensité le client va rencontrer telle ou telle catégorie. Autre élément d’optimisation: le rôle du vendeur, qui est destiné à se réinventer. De même, repenser les métiers front et back-office constitue une priorité absolue.


Le terminal 3 d'Orly inauguré l'an dernier - Gwen Le Bras/ADP

 
Enfin le dernier défi pour les maisons de mode concerne la restructuration de leur réseau de vente. En particulier en Europe, où l’offre est pléthorique. "Avec la disparition des touristes et la crise économique, qui va paupériser la population locale, l’hécatombe nous paraît inévitable. C’est tout le réseau de vente européen, y compris les boutiques monomarques, dépendantes de loyers très élevés, qui risque d’être profondément touché", indique Delphine Vitry.
 

Parfums et cosmétiques seront particulièrement frappés par la crise du travel retail



En particulier, le travel retail apparaît "sans conteste la victime la plus sanglante de la crise actuelle". Il sera particulièrement impacté et avec lui les opérateurs les plus importants, de Dufry à DFS (LVMH). "C’est le canal qui va mettre le plus de temps à se reprendre car il est tributaire du retour du trafic en aéroport. Cela va notamment peser sur les secteurs du parfum, des cosmétiques et du vin. Certaines marques y réalisaient jusqu’à 50% de leurs ventes", rappelle Delphine Vitry.
 
Or la reprise va varier selon les segments. Dans son rapport, MAD estime que "les méga-croisières seront radicalement remises en cause, les aéroports internationaux seront très affectés au moins sur les 12-18 mois à venir, tandis que les aéroports domestiques et régionaux vont redécoller plus vite". Mais cette crise va aussi révéler des tendances de fond dans les façons de voyager et par là-même offrir certaines opportunités pour le luxe. Les maisons vont pouvoir investir davantage par exemple sur les voyages d’affaires, qui vont diminuer mais ne vont pas disparaître. Quant au tourisme de loisirs, il va être radicalement réinventé.
 
Dans cette perspective, il faudra certainement adapter l’offre de produits et de services en anticipant une forte baisse de la part des clients chinois dans certaines destinations. Ces derniers représentaient 40% des dépenses mondiales en travel retail. Ce ne sera plus le cas. Par ailleurs, le secteur va devoir être repensé avec une approche différente des marges et de leur répartition, en rendant nécessaire un dialogue entre les marques, les aéroports et les opérateurs gérant les espaces.
 
D’autres leviers pourraient être activés, tels que le shopping en vol, la gestion en direct des boutiques de la part des maisons, ou encore une plus grande attention portée au voyageur local. Selon les auteurs de la recherche, le travel retail va néanmoins redémarrer. "Quelle que soit la vitesse à laquelle il redécollera, il restera à l’avenir un canal clé dans les revenus et l’exposition des marques de luxe… Mais il devra être abordé différemment", concluent-ils.
 

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