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28 oct. 2021
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Valeria Rodriguez (Max Havelaar): "La révolution de la mode éthique est en marche, mais elle prendra du temps"

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28 oct. 2021

L'industrie de la mode a accéléré sa mue vers un modèle plus responsable en pleine pandémie de Covid-19, mais qu'en est-il du volet social, plus d'un an après le scandale des Ouïghours et les nombreux appels au boycott des internautes contre certains géants de la mode? Valeria Rodriguez, responsable du pôle Plaidoyer et Mobilisation de l'ONG Max Havelaar France, dresse un état des lieux des avancées observées dans l'industrie textile, et revient sur les engagements nécessaires pour que cette dernière s'emploie à devenir plus éthique.


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Max Havelaar a récemment lancé un appel pour la création d'un 'Pacte mondial pour une mode équitable'. Où en est cette initiative?

Valeria Rodriguez: Nous avons effectivement lancé en avril cet appel face au constat que les initiatives existantes ne tiennent pas compte du volet social que le drame du Rana Plaza (l'effondrement d'ateliers de confection textile au Bangladesh, le 24 avril 2013, ndlr) a mis sur le devant de la scène. Les questions environnementales et sociales sont indissociables. Depuis, nous continuons à échanger avec des ONG, des entreprises, mais aussi avec les pouvoirs publics.

Nous sommes convaincus que pour faire face aux défis de l'industrie textile, l'engagement doit être multipartite. L'engagement unilatéral volontaire des entreprises n'est pas suffisant. Il doit être encadré par les pouvoirs publics et les ONG. Ce pacte peut permettre le déploiement des initiatives volontaires des entreprises, mais aussi faciliter la mise en œuvre d'une législation, telle la loi sur le devoir de vigilance. Mettre tous les acteurs autour de la table pour prendre des engagements peut prendre du temps, mais nous nous y employons.

L'écoresponsabilité est davantage au centre des préoccupations des consommateurs et des acteurs du textile depuis le début de la crise sanitaire. Mais qu'en est-il de la mode équitable et de la justice sociale, dont on entend beaucoup moins parler?

VR: La crise sanitaire a effectivement éveillé les consciences en termes de durabilité, d'environnement. On parle de plus en plus de recyclage, de matières responsables. Le scandale des Ouïghours participe à une autre prise de conscience, car il a mis sur le devant de la scène le travail forcé, et les consommateurs en ont été informés. Le respect des droits humains devient donc un sujet épineux pour les marques qui peuvent craindre un scandale. De très nombreuses marques ne connaissent pas l'origine de leur coton du fait, notamment, de la complexité et de l'opacité de leurs chaînes d'approvisionnement. Elles commencent seulement à s'intéresser aux questions de traçabilité et donc aux certifications qui la garantissent.

Nous sommes depuis plusieurs mois contactés par des marques qui recherchent cette garantie de traçabilité, mais elles le font de façon confidentielle et elles sont encore peu nombreuses à vouloir s'engager plus largement sur le volet social. Le virage passe d'abord par la transition écologique pour certaines, et beaucoup en jouent en utilisant le terme 'écoresponsable'. Le consommateur peut croire qu'il y a une justice sociale derrière, c'est trompeur.

Les marques les moins engagées en faveur de l'environnement sont-elles également celles qui négligent le plus les conditions de travail et les droits des travailleurs?

VR: Comme dans le secteur de l'agroalimentaire, il existe souvent des étapes dans les stratégies RSE des entreprises. Beaucoup commencent par une approche 'sans produit toxique' et 'bio', tandis que l'équitable vient souvent dans un second temps. Mais des marques conventionnelles s'engagent aussi dans l'équitable qui offre également des garanties environnementales. Il faut savoir que le label Fairtrade/Max Havelaar interdit les OGM, incite à la conversion à l'agriculture biologique, à une meilleure gestion de l'eau, etc.

Les marques pensent parfois que les labels 'environnementaux' couvrent des garanties sociales suffisantes, mais ils ne font souvent que se cantonner aux règles de l'Organisation internationale du travail, surtout concernant le respect du salaire minimum - qui est dans la majorité des cas bien en deçà d'un salaire vital. Les cahiers des charges Fairtrade/Max Havelaar vont plus loin avec un prix minimum garanti, une prime de développement pour les producteurs de coton et l'exigence d'un salaire vital dans un délai contraignant de six ans pour les ouvriers de l'industrie textile. Au Bangladesh, par exemple, le salaire vital est calculé à 255 dollars par mois, alors que le salaire minimum des travailleurs du textile varie entre 68 et 82 dollars par mois.

Comment y remédier concrètement?

VR: En parallèle des certifications coton et textile comme les nôtres, nous devons convaincre les marques de ne plus négliger les aspects sociaux. Nous travaillons également pour alerter et sensibiliser les consommateurs sur la nécessité d'un virage dans le monde de la mode. Il faut également une législation contraignante et applicable à tout le secteur pour faire bouger les lignes. L'adoption d'une législation prend du temps, donc l'engagement volontaire des entreprises avec des certifications peut aussi être un outil dans cette régulation.

D'après un sondage Opinion Way pour Max Havelaar France, près des deux tiers des jeunes de la génération Z se disent prêts à boycotter une marque qui ne produit pas de vêtements équitables, mais les chiffres montrent dans le même temps qu'ils se tournent toujours massivement vers la fast-fashion. Comment expliquer ce paradoxe?

VR: Il y a toujours un écart entre les intentions et les choix réellement opérés. Le critère économique entre également en ligne de compte. La fast-fashion met sur le marché des articles à des prix extrêmement bas. Les jeunes générations ont des valeurs mais qui sont fragiles face à des t-shirts à 5 euros. Pourtant le différentiel sur un t-shirt conventionnel et équitable est souvent d'une dizaine d'euros. Cependant, la prise de conscience est bien là!

Sur notre stand du salon Who's Next en septembre, nous avons pu constater que les jeunes qui créent des start-up de mode s'engagent tous en faveur d'une mode responsable, et qu'ils sont très sensibles aux droits humains. La révolution de la mode éthique est en marche, mais elle prendra du temps. C'est beaucoup plus long dans le domaine du textile avec des collections qui se créent douze ou dix-huit mois à l'avance.

En tant que consommateur, comment peut-on être certain d'acheter de la mode équitable?

VR: Aujourd'hui, seuls les labels équitables permettent de couvrir des critères sociaux et environnementaux exigeants. Face aux allégations des différents labels dits responsables, durables ou bio, les labels équitables sont les seuls à défendre les droits des travailleurs du textile et à être certifiés par un tiers-indépendant.

L'industrie textile sera-t-elle vertueuse et équitable dans dix ans?

VR: L'engagement des marques est nécessaire pour assurer une transition durable des modes de production et répondre à la demande des consommateurs pour une industrie textile plus responsable. Les autorités publiques ont aussi un rôle majeur à jouer dans la réglementation afin d'accompagner la demande. Le mimétisme joue beaucoup aussi. Les collectifs d'ONG et les consommateurs élèvent de plus en plus la voix… Dans dix ans, l'industrie textile aura amorcé le virage, cela va dans le sens de l'histoire. Mais des défis resteront encore à surmonter et le chemin sera long.


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