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François Girbaud : "Ce qui m’intéresse, c’est introduire des innovations auprès de la jeune génération"

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28 sept. 2017

Entre Los Angeles, où il vit, et Milan et Istanbul, où se situent certains de ses contacts industriels, François Girbaud a fait un arrêt dans la capitale française pour participer à la présentation de sa collaboration avec Closed, marque qu'il avait fondée il y a 40 ans. Dans le spacieux showroom parisien de la marque, aujourd'hui basée à Hambourg et contrôlée par Gordon Giers (fils de Günther Giers), Til Nadler et Hans Redlefsen, François Girbaud précise pour FashionNetwork.com les raisons qui l'ont incité à travailler avec Closed. Celui qui a imaginé le stone-washing il y a 30 ans, puis milité pour le délavage au laser et le watt-washing, détaille aussi sa vision de l'avenir du denim.

François Girbaud - DR


FashionNetwork.com : Cette collaboration avec Closed n'est pas anodine. Vous étiez le fondateur de la marque. C'est étonnant de vous voir revenir 40 ans après.

François Girbaud :
L'histoire avec Closed était un peu compliquée à l'époque. Au terme d'un contentieux, j'ai obtenu la propriété intellectuelle et Gunther Giers, le père de Gordon, qui est l'un des propriétaires actuels, a eu la propriété industrielle. Mais le temps a passé et j'ai fait plein d'autres choses. De cette époque, ce que je retiens, c'est ce que nous avons apporté. Le fait de signer la braguette par exemple, c’était une provocation extrême. Personne n’avait tourné le jean, c’était la bienséance qui l'emportait à ce moment-là.

FNW : Et comment vous êtes-vous retrouvé à réaliser cette collection d'une quinzaine de pièces qui reprend ces thèmes ?

FG :
Ce sont des rencontres et des échanges qui m'ont amené là. Je travaille avec Uniqlo, avec Yanai (Tadashi, le PDG du groupe japonais Fast Retailing, ndlr). Un jour, à la sortie d’une conférence, il me dit « Girbaud, je sais pourquoi tu es Girbaud. Dessine moi un Pedal Pusher ». C’est une référence aux années Closed. Il s’agit d’un des premiers commerçant du monde, mais il se rappelle qu’on avait inondé Tokyo avec. Dans le même temps, Kanye West me dit qu'il a grandi avec Girbaud et m’explique qu’il a besoin d’une signature. Il me demande si avec Yeezy il peut mettre l’étiquette sur la braguette. J'ai aussi été appelé par les jeunes designers américains...
Et en décembre, Gordon m’envoie un message me disant « pourquoi on ne parle pas ? ». Après Première Vision, j’ai pris l’avion pour aller à Hambourg. Je me suis assis avec ses deux associés. Cinq minutes après, on était d’accord. Si je n’avais pas fait le chemin avec les autres, je ne serais pas arrivé là. Car on peut sortir un pedal pusher chez Uniqlo, mais c’est quand même mieux de sortir le vrai. Là, c’est une équipe plus familiale, il y a un rapport affectif. Dans les grosses compagnies, c'est plus compliqué de faire bouger les choses.

FNW : Mais vous travaillez avec des industriels de l'amont du denim, notamment dans la production de toile ou la finition. Ce ne sont pas, là aussi, de grosses machines ?

FG :
Je suis à Los Angeles. Mais à Los Angeles, il y a cinq ans, quand je suis arrivé, c’était encore La Mecque du jeans. Aujourd’hui, ce n’est plus vrai. Le premium n’existe plus. Aujourd’hui, les Hedge Funds ont acheté ces marques 700 millions de dollars ou 300 millions de dollars. Mais maintenant, elles ne valent plus ça. La marge est descendue en flèche. Et moi qui veux sauver de l’eau, de l’énergie, de l’électricité, je sais que pour avancer, il faut être au Pakistan et au Bangladesh.

FNW : Mais quel est le rapport avec la collection chez Closed ?

FG :
Je n’ai pas fait la collaboration Closed pour travailler avec un rétroviseur. Donnez-moi le temps, c’est la première collection. (Il va chercher un pantalon de la collaboration). J’ai des premières pièces qui permettent d’avancer comme ce pantalon. Là, on a du stretch dans le sens du warp (chaîne du chaîne et trame). Et ça, ça permet d’avoir des volumes, autre chose qu’un effet boudin, et du confort. Cette collection était juste un coup. Mais là, on travaille déjà sur la deuxième. C’est une opportunité de diffuser les innovations. On est à ce tournant où le jean est face à un défi mondial. Moi je suis en train d’avancer sur de nouvelles approches.

FNW : Est-ce pour cela que vous travaillez avec des industriels ?

FG :
Ce qui m’intéresse, c’est de pouvoir présenter et introduire des innovations auprès de la jeune génération. Parce qu’en définitive, ce n’est pas à des vieux cons comme nous de sortir des schémas ! J'ai encore cette chance de pouvoir parler à Yanai d’Uniqlo, à Fathi (Konukoğlu, ndlr) d’Isko et de leur dire qu’il y en a assez du stretch actuel et qu’il faut faire Warp Stretch. Mais rien que pour pouvoir essayer, il faut faire 8 000 mètres. Je travaille sur une collection avec Isko. Mais je vois aussi tout le travail que j’ai pu faire sur le laser, l’ozone... Les machines sont dans les usines. Mais les marques ne le savent pas. Ils vont sur place, mais ne s’en servent pas. Ils achètent un prix. Avec le laser, tu vas plus vite, tu graves et tu crées des choses qu’il n’était pas possible de faire avant. Mais, là, ils trouvent que la machine ne déroule pas assez vite. C’est ridicule. Ils n’ont pas encore compris, mais ça va venir.

FNW : Isko développe ses propres collections de jeans ?

FG :
Non, pas encore. Il s'agit de la deuxième collection « d'inspiration ». Mais pourquoi Fatih m'a-t-il appelé ? On introduit le Warp stretch. C’est-à-dire dans la chaîne du chaîne et trame. C’est de ça qu’on a besoin aujourd’hui ? A l’époque, avec Invicta et les autres, on a fait rentrer le sport avec le Spandex. Quand on l’a fait, c’était pour la compression, le massage. Et aujourd’hui, c’est le même dans les enseignes de distribution que chez les marques premium. Je le fais, je le sais.

FNW : L'an dernier, vous disiez militer pour la prise en compte des conditions de travail et faire attention aux techniques. Qu'en est-il aujourd'hui ?

FG :
Mais c'est à vous aussi, les journalistes, de transmettre cela. Le stonewash, le sandblasting, c'est très beau sur le jeans. Mais on ne peut plus dire qu'on ne sait pas que cela tue les ouvriers qui respirent. Il faut agir. Par exemple, Uniqlo, j'ai travaillé avec eux, j'ai participé à leur installation à Los Angeles. Je sais qu'un jean à 49 dollars red selvedge kaihara, c’est le bon coton et la bonne production. Mais, par rapport à la production mondiale, ce n’est rien. On parle de 6 milliards de jeans par an. Le jean de la Durance, je l’aime bien, mais que représente-t-il dans tout ça ? Le jean, cela reste d'abord une économie juteuse.

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