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5 déc. 2022
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Jean Touitou serait-il prêt à céder A.P.C.?

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5 déc. 2022

En mars 2020, en pleine émergence de la pandémie en France, Jean Touitou décidait, à contre-courant de la tendance d'alors, d'annuler son défilé A.P.C. de la Fashion Week de Paris. Quelques mois plus tard, le dirigeant adressait à l'industrie de la mode une lettre ouverte expliquant sa vision et dans laquelle il s'interrogeait "Pourquoi A.P.C.?".  Et livrait une réponse: "Après avoir rejeté l’hypothèse du 'refus de l’obstacle", je me suis mis à considérer qu’une nouvelle mission était à accomplir par moi, par nous: assurer la survie d’A.P.C. et de ses valeurs esthétiques et morales."


Visuel de la collection Interraction Jean Touitou - A.P.C.


En cette fin d'année 2022, ce passionné d'art aurait-il trouvé une nouvelle option pour assurer la survie d'un label qu'il a créé en 1987? Le dirigeant serait en passe de céder son Atelier de Production et de Création, selon des informations de l'hebdomadaire économique Challenges. Le propriétaire de la marque française aux 55 points de vente aurait confié un mandat à la banque d'affaires Rothschild & Co pour trouver des investisseurs, ce que des sources ont confirmé à Fashionnetwork.com.

A bientôt 72 ans, le fondateur chercherait donc une porte de sortie et serait prêt à vendre tout ou partie de la belle A.P.C. Ses actionnaires ont, semble-t-il, aligné les statuts et clarifié l'actionnariat historique de la holding A.P.C., détenue très largement par Jean Touitou et ses proches, au printemps.

La société française est certainement dans la meilleure position possible pour engager ce projet. En 2017, le fonds Audacia, qui avait une participation inférieure à 10% du capital depuis 2012, se retirait. Et dès 2018, le groupe A.P.C. avait décidé de se désengager du label Vanessa Seward, celui-ci réalisant à l'époque moins de 4 millions d'euros de chiffre d'affaires mais accumulant les pertes d'exploitation, pour se focaliser sur sa marque éponyme.

Une concentration des ressources qui permet aux équipes d'A.P.C. de plutôt bien traverser l'année 2020. La société utilise les armes mises à disposition par l'Etat français durant les confinements et contracte un prêt garanti par l'Etat de près de 10 millions d'euros. Le groupe accuse au terme de l'exercice un recul d'activité fort, son chiffre d'affaires passant de 72 millions d'euros en 2019 à moins de 60 millions d'euros et des pertes part du groupe de plus de 3 millions d'euros un an plus tard.

Mais en 2021, A.P.C effectue un formidable rebond, avec un croissance de son activité de 39%, et réalise certainement, avec 82 millions de chiffre d'affaires annoncé pour l'ensemble de ses activités, le meilleur exercice de son histoire. La société a enregistré des croissances sur toutes ses zones d'activité en 2021.


Boutique de Borough Market à Londres - A.P.C.


Ses ventes sont même en croissance de 14% par rapport à son exercice 2019. Si ses ventes retail en Europe et aux Etats-Unis, avec des confinements disparates, étaient encore en deçà des niveaux d'avant-crise, ses ventes en ligne ont bondi pour passer la barre des 10 millions d'euros, ce qui lui laisse encore des opportunités en la matière, certains concurrents réalisant 20% de leurs ventes en ligne. Et son activité de vente en gros s'est considérablement développée dans la zone euro. De plus, la société a dégagé des bénéfices, contre des pertes nettes l'année précédente.

Bien sûr, comme beaucoup d'acteurs de la mode, A.P.C. doit faire face aux nouveaux défis nés en 2022, qui ont forcément freiné son élan constaté en début d'année (+14% en comparable au premier trimestre dans son réseau retail selon les éléments déposés au tribunal de commerce). Les tensions internationales, entraînant une hausse du prix des matières et des coûts de production et logistique ont pu affecter quelques points de rentabilité. Et une part de sa clientèle commence à réaliser des arbitrages.

Potentiel de croissance



Mais la marque apparaît comme une cible de choix pour des investisseurs. Son offre casual, avec des basiques intemporels portés par un discours artistique, des collaborations souvent pertinentes et un propos lifestyle, est rassurante car décorrèle la performance d'une tendance mode trop éphémère. 

La société dispose d'un réseau de magasins cohérent et opère depuis quelques années une extension de son activité à l'international. Son marché domestique pèse moins de 20% de son activité, tout comme les Etats-Unis. Et l'entreprise développe son réseau avec environ 55 magasins et une présence dans les grands magasins internationaux. En Europe, initiant l'an passé une filiale danoise, elle a ouvert un magasin à Copenhague. Elle regarde pour des ouvertures dans les grandes villes européennes, et imagine les modalités d'un développement plus important en Asie, notamment en Chine. Elle compte aussi quelque 350 clients multimarques internationaux de haut niveau. De quoi lisser les risques d'une chute d'activité sur une région du monde.

Sa belle implantation internationale mais aussi sa capacité à créer un environnement lifestyle semble être des arguments forts. La société a pour projet de développer une offre de parfums, mais a aussi changé ses statuts afin de pouvoir proposer une activité de restauration. Bref de quoi créer des lieux de vie A.P.C.

Qui pourrait investir dans A.P.C.?



Mais quel pourrait être la valeur de la marque? Les récentes évolutions des taux ont refroidi plusieurs projets de cessions totales ou partielles de sociétés de mode. Les dossiers Sézane ou Isabel Marant ne seraient ainsi plus en circulation.

Selon des sources évoquées par Challenges, une transaction pourrait se conclure autour de 1,5 fois le chiffre d'affaires, soit un peu plus de 160 millions d'euros. En 2021, l'Ebitda de l'entreprise franchissait les 10 millions d'euros. Dans le secteur, les "deals" se réaliseraient entre 9 et 11 fois l'Ebitda. Soit environ 95 à 120 millions d'euros. Ce qui laisse donc supposer une négociation entre 100 et 200 millions d'euros, si la compétition fait rage.


Jean Touitou - A.P.C.


A ce montant, plusieurs acteurs peuvent intervenir. L'expertise de développement de marques d'un L Catterton, qui œuvre avec Ganni, Etro ou Jott, en fait forcément un candidat. Eurazeo, qui a investi dans Axel Arigato, Bandier ou Herschel, pourrait aussi avoir des vues sur A.P.C. Des acteurs internationaux puissants comme Permira, qui a misé récemment sur Dr. Martens et Golden Goose, ou General Atlantic, qui a validé le potentiel d'une marque française avec Sézane, voire des géants américains qui bénéficieraient potentiellement de la puissance du dollar, pourraient aussi regarder le dossier, même si la société ne semble pas totalement alignée avec leurs formats d'investissement habituels.

Et chez les grands groupes de mode et de luxe? Le profil ne convient pas aux structures de LVMH, Kering, Richemont ou même de Puig. Mais quid d'un intérêt d'Artémis, société qui chapeaute les investissements de la famille Pinault? En outre, là aussi, certains groupes américains, souhaitant internationaliser leur portefeuille de marques pourraient regarder A.P.C. Et en Europe, OTB, groupe de Renzo Rosso, fondateur et propriétaire de Diesel, a affiché ses intentions de réaliser de nouvelles acquisitions. Un amoureux du denim pour reprendre une marque dont le jean est une pièce clé du vestiaire: l'histoire serait séduisante.


Visuels de la campagne mettant en avant les enfants des amis de Jean Touitou - A.P.C.


Quoi qu'il en soit, le fondateur, qui n'a pas répondu aux sollicitations de FashionNetwork.com, semble depuis plusieurs mois préparer cette issue. D'un point de vue financier, on l'a vu, mais aussi en multipliant les clins d'œil à ses amis et à ses proches. Début 2022, Jean Touitou dévoilait une campagne A.P.C. mettant en scène les enfants de ses amis artistes: "Tous nos amis ont participé à ce qu’est devenu A.P.C. aujourd’hui et je tiens à leur rendre un hommage particulier", glissait-il à l'époque. Il a aussi multiplié son concept "Interaction", donnant la part belle à des artistes. En novembre, pour sa dix-septième "interaction", le créatif a choisi de mettre en avant ses propres idées pour célébrer les 35 ans de sa marque... et peut-être un peu plus.

"Il n’est pas besoin d’une énorme garde de robe pour jouer juste, avançait il. Cette collection fonctionne autour d’un dogme, la monochromie, et autour d’une nécessité, le refus de la 'désublimation' répressive. Autrement dit, foutez-moi la paix, laissez-moi faire exactement ce que je veux. Je décide qu’on a bien assez d’habits dans son placard, et je décide d’y rajouter une série limitée de pièces: un treillis P43, un jean A.P.C. avec une chaîne sur le côté, un Shetland (pull, ndlr) et c’est tout. Et comme j’aime beaucoup rajouter du sens à ce que je fais, il est question dans les phrases écrites ou suggérées ici et là d’instances surmoïques, d’absurde et d’économie comme acte de guerre."

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